Nous ne sommes rien soyons tout

Le Manifeste - N° 7 - Juin 2004

 

6 juin 44 :

Célébration ou manipulation ?

Les commémorations du 6 juin 1944 ont pris des proportions jamais atteinte. Est-ce pour faire allégeance aux États-Unis que le gouvernement français oublie l’histoire de France ?

Il est juste de commémorer le sacrifice des milliers de combattants et de civils morts en juin 44 en Normandie : le débarquement organisé par les Anglo-Américains, dans le cadre de la coalition internationale contre les Nazis qui occupaient l’Europe, fut un moment important du combat du peuple français pour sa libération, de 1940 à 1945.
Mais quand la célébration tourne à la falsification, quand l’événement est instrumentalisé pour des raisons politiciennes, on doit s’indigner par respect pour tous ceux qui ont donné leur vie pour libérer notre continent du nazisme et de ses alliés.

Un contresens
historique

Il est bon de rappeler quelques vérités historiques que les télévisions et les journaux de France ont soigneusement occultées, parce qu’elles ne convenaient pas à la mission que leur avaient confiée les politiciens dirigeant notre pays.
Le président Chirac avait su l’an dernier ne pas approuver la conquête de l’Irak par les troupes des USA et de leurs comparses ; aujourd’hui que les soudards de Bush occupent, pillent, torturent les Irakiens et doivent faire face à la résistance populaire armée, il fait tout pour démontrer que la France est l’alliée fidèle de Washington et que les divergences secondaires ne changent rien à l’amitié entre dirigeants occidentaux. Au lieu d’exiger le départ nécessaire des occupants de l’Irak, les dirigeants français s’apprêtent à s’entendre avec Blair, Bush et Berlusconi, sur une version aménagée de l’occupation avec la caution de l’ONU : ainsi le pillage continuera et, cette fois-ci avec la participation à la curée des affairistes français. Voilà pourquoi l’anniversaire du « D day » a été organisé pour la première fois de façon aussi grandiose, dispendieuse : combien de dizaines de millions d’euros qu’on ne trouve pas pour les services publics, les intermittents, etc.
Voilà pourquoi l’événement a été falsifié au profit d’une version unique : le débarquement américain a libéré la France. Un contresens historique qui appelle quelques remarques élémentaires.
Les forces débarquées en Normandie le 6 juin 44 et les jours suivants n’étaient massivement étasuniennes que sur le plan du matériel, navires, véhicules, etc. Les soldats étaient, eux, majoritairement britanniques (l’ambassadeur du Royaume-Uni, furieux, l’a rappelé publiquement) et ils comprenaient des contingents de volontaires de multiples nationalités, Français, Polonais, Tchèques, Belges, etc.
Les bombardements préalables au débarquement, faits de haute altitude par l’aviation US avaient causé la mort de milliers de civils français dans les villes normandes comme Saint-Lô, sans aucune justification militaire : les résistants normands avaient peu apprécié, les Nazis et les Vichystes en avaient tiré argument.

Commémoration grand spectacle

On ne peut comprendre le débarquement de Normandie qu’en le replaçant dans le cadre général de la guerre en Europe et de l’alliance anti-hitlérienne constituée en 1941. Depuis trois ans, le conflit européen se déroulait d’abord sur le front est contre l’URSS. Il faut rappeler aux générations actuelles nourries d’anti-soviétisme que les peuples d’URSS ont eu, en quatre ans de guerre, plus de 20 millions de morts et que près des trois quarts des soldats allemands tués durant cette période sont tombés sur le front oriental. C’est à Stalingrad, fin 1942 que fut brisée militairement l’expansion nazie et le 2 février 43 que débuta le reflux quand une armée allemande entière dût se rendre aux Soviétiques. Quand Roosevelt et Churchill décidèrent le débarquement de juin 44, ce « second front » si longtemps demandé par l’URSS et espéré par la majorité des Français, l’armée soviétique avait commencé depuis un an de refouler les troupes nazies vers l’Europe centrale. L’essentiel des forces de l’Axe, soldats, blindés, avions étaient en juin 44 sur le front oriental : cela seul a permis la réussite, aléatoire, du débarquement allié en Normandie ; et aussi le fait que la résistance française a empêché, en coupant les voies et les routes, les renforts allemands de parvenir à temps : certaines brigades SS ont mis près de quinze jours à venir du Sud-Ouest de la France sur les côtes normandes !
Charles de Gaulle, chef de la France libre, informé après coup du débarquement de Normandie, organisé par les seuls Anglo-Américains, n’avait pas oublié les conditions exactes du 6 juin, quand il disait : « les Français savent ce qu’a fait pour eux la Russie soviétique et ils savent que c’est elle qui a joué le rôle principal dans leur libé-ration ». Chirac lui, fait semblant de ne plus le savoir pour complaire à Bush.
La commémoration grand spectacle du 6 juin 1944 contraste avec le silence assourdissant des autorités et des médias français pour le soixantième anniversaire de la Corse en septembre 1943. Car la Normandie n’est pas la première région française libé-rée : neuf mois auparavant, la Corse soulevée à l’appel de la Résistance, unifiée dans un « Front national » animé et dirigé majoritairement par les communistes (cas unique en France) se libérait après de durs combats contre fascistes italiens et nazis allemands, avec la seule aide de soldats volontaires français, de soldats marocains et d’Italiens en rupture avec le fascisme. De Gaulle, encore, avait su reconnaître cette primauté en saluant à Ajaccio le peuple corse, avant-garde de la nation française, « par lui-même libéré ».
Certaines de nos « élites » actuelles de droite ou de gauche, préfèrent semble-t-il lorgner vers les rives du Potomac que mémoriser l’histoire de France : un peuple insurgé, se libérant par sa résistance, au surplus une résistance animée par des communistes, mieux vaut la taire. Est-ce pour ne pas offusquer les occupants de l’Irak ou de la Palestine ?

Francis Arzalier