le monde va changer de base

Le Manifeste - N° 7 - Juin 2004

 

 

Où va
l’altermondialisme ?

Les mouvements altermondialistes font beaucoup parler d’eux ces dernières années comme forme de résistance à la mondialisation capitaliste. Offrent-ils une réelle alternative ? Ou nécessitent-ils, plus que jamais, que les forces communistes s’expriment et ouvrent de nouveaux chemins ? Rencontre avec deux intervenants impliqués par cette lutte altermondialiste.

L’altermondialisme, internationalisme du XXIe siècle ?

Nils Anderson

Nils Anderson, membre du Conseil scientifique d’Attac, a confié au Manifeste le texte d’une allocution prononcée lors d’un débat sur les perspectives et limites du mouvement social. Il y analyse les circonstances de l’apparition du mouvement altermondialiste, ses avancées et ses limites.

Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, la mondialisation de l’économie est devenue le cours dominant de l’économie capitaliste et, après la chute du Mur et l’implosion de l’Union soviétique, le credo politique et idéologique du néo-libéralisme. Utilisant le désarroi des forces progressistes, les chantres de l’économie de marché vont imposer leurs « nécessaires réformes » : précarisation du travail, délocalisation des entreprises, fluidité des capitaux, concentration industrielle, financière et commerciale, déréglementation des systèmes sociaux, démantèlement de l’État.
Dans leur grande majorité, politiciens et gouvernements se rallient à la pensée unique et font allégeance au Nouvel ordre mondial économique, financier et militaire des États-Unis. Cette politique, dont le FMI, la Banque mondiale, l’OMC, le G8, les institutions européennes, le Forum de Davos, etc. sont les instruments internationaux, va très vite avoir pour conséquence une brutale aggravation des inégalités sociales et un accroissement de la pauvreté et de la misère dans le monde.
La mondialisation va participer d’un affaiblissement du rôle de l’État, privant les gouvernants d’importants leviers de commande ; l’État démocratique-bourgeois n’est dès lors plus en mesure de remplir une fonction régulatrice entre patronat et salariés, entre secteur public et secteur privé ou de remplir son rôle de redistribution sociale. Une grave crise de la démocratie en résulte, qui jette le discrédit sur la représentation politique traditionnelle.

Un mouvement divers

En raison de cette carence, l’altermondialisme (inscrit dans un moment historique précis) joue souvent le rôle de levier pour de multiples initiatives citoyennes, dont certaines ont débouché sur de puissants mouvements sociaux. Mouvement divers, multiple, confus tant dans sa composition que dans ses objectifs, l’altermondialisme est devenu un espace de mobilisation (et de réflexion) unique. Mais cette hétérogénéité pourrait être aussi sa limite indépassable.
Au cours des années 90, le mouvement antimondialisation prit peu à peu conscience des dangers de la politique hégémonique des États-Unis qui, sous le drapeau de l’ONU ou dans le cadre de l’OTAN, s’attribuait le rôle de gendarme international. Lors de la première guerre d’Irak, des opérations au Kosovo, de la guerre d’Afghanistan, des mouvements anti-guerre se sont mobilisés, mais sans participation active du courant altermondialiste ; lors de la seconde guerre d’Irak, l’unilatéralisme étasunien agissant à visage découvert, on assiste pour la première fois à une conjugaison des mouvements anti-guerre et altermondialiste. Toutefois, en raison de la diversité des courants qui le traversent, cet élargissement hors du cadre initial du champ de lutte de l’altermondialisme, reste à confirmer.

Effets positifs
et acquis

La mouvance altermondialiste a eu plusieurs effets positifs, dont l’un fut la réelle dynamique assembleuse (plus que rassembleuse) du mouvement, qui permit que des militants démobilisés, isolés, reprennent le chemin d’un engagement. Cependant, l’histoire nationale, ouvrière, révolutionnaire, culturelle de chaque pays et l’hétérogénéité de ses composantes, multiplient au sein du mouvement altermondialiste les forces centrifuges et il est impossible aujourd’hui d’affirmer qu’il s’agit d’un mouvement temporaire ou si l’altermondialisme a un devenir ; personne jugeant nécessaire de transformer la société ne peut demeurer indifférent à cette interrogation.
Deux acquis tangibles s’affirment : premièrement, après la désagrégation politique et idéologique qui suivit l’effondrement de l’Union soviétique, l’altermondialisme fit entendre un discours autre que celui du néo-libéralisme (certes de façon confuse et parfois ambiguë), montrant la nécessité de changer les choses. Ce discours s’est avéré mobilisateur pour la jeunesse et chacun sait qu’il n’y a pas de processus révolutionnaire sans engagement des jeunes générations. Reste à éviter l’écueil que cette dynamique militante ne se confine pas dans l’activisme.
Le second acquis est d’avoir réintroduit une vision internationaliste dans la lutte anticapitaliste. L’internationalisme, principe de solidarité active du mouvement ouvrier au XIXe siècle, s’est effiloché au cours du XXe siècle, pour ne plus devenir qu’une déclaration rhétorique, notamment après la Seconde guerre mondiale, où l’on vit prévaloir les communismes et les socialismes nationaux. Une vision internationaliste, encore formelle, s’inscrit dans la logique même de Seattle, Porto Alegre, Florence, Paris, Bombay. Mais cet internationalisme, pourra-t-il être conceptualisé, concrétisé ?

Un avenir
en construction

Partant de l’expérience et des échecs de l’internationalisme prolétarien, c’est peut-être là le principal gisement d’un projet politique altermondialiste. Cette démarche bénéficie du fait qu’elle ne peut aujourd’hui être chapeautée par un modèle paralysant les initiatives et les capacités de chaque lutte dans le monde (cet avantage contient naturellement son contraire, une propension à la singularité et à la division). Autre potentiel, la prise de conscience de plus en plus répandue dans le monde, qu’il ne peut y avoir, face aux crises et menaces économique, sociale, écologique, humanitaire, totalitaire, intégriste, de solutions que globales.
Face à l’hégémonisme de l’Empire étasunien et à la logique capitaliste néo-libérale, l’internationalisme ne peut plus être la simple affirmation d’une fraternité égalitaire mais devient une question de survie solidaire. Mais, conscient que les défaites du socialisme au XXe siècle ne sont pas seulement des victoires du capitalisme et du camp occidental mais, d’abord, une conséquence des propres insuffisances de la gauche révolutionnaire, sachant que ces carences demeurent, il faut se convaincre que, faute de les surmonter, dans les têtes et dans les comportements, la capacité d’élaborer une alternative altermondialiste à réel contenu internationaliste sera illusoire.

Nils Anderson

Où en est le mouvement altermondialiste ?

Michel Dalerin

Le refus de prendre en compte la validité du cadre national et l’actualité de la contradiction capital/travail, et donc de la lutte des classes, mine le développement du mouvement altermondialiste.

Comme le relèvent Nathalie Brion et Jean Brousse (de l’Institut géostratégie) dans une tribune parue dans Le Monde du 26/02/04 : « le terme “politique”, synonyme d’”électoraliste”, de “démagogique”, voire d’opacité et de système mafieux, ne désigne plus la façon de gouverner » alors que dans le même temps « l’attente et le besoin de politique s’expriment plus que jamais ».
C’est dans ce contexte contradictoire que s’agglutineront divers mouvements, au départ chacun concentrés sur une lutte (GATT, AMI, les « Sans », les « anti-guer-re » …) pour constituer un rassemblement anti puis alter-mondialiste.

Une exigence forte de décision
nationale

Dans cette même tribune du Monde, les auteurs font remarquer que « pourtant, un certain nombre de valeurs dynamiques émergent. Elles se structurent autour de la volonté collective de préserver la spécificité du modèle français, s’agrègent autour du rejet du modèle anglo-saxon, des marchés financiers et de la mondialisation (…) ».
Or, les forces dites altermondialistes ne prennent pas en compte ces réalités. Au contraire, cette « nébuleuse » a en commun avec le « consensus mou » de « partager l’idée que le cadre national (…) serait désormais dépassé et inapte à faire face aux grands problèmes auxquels sont confrontés l’humanité et la planète ».
L’abandon ou la négation de la dimension nationale tant au sein du mouvement altermondialiste qu’au sein des forces politiques et syndicales de gauche, l’absence de référence sur le rôle de la France en tant que nation souveraine, sont préjudiciables à une mobilisation massive. On ne trouvera ainsi pratiquement jamais un mot sur le possible volontarisme décisif de la politique menée par une grande nation comme la France. Car, dans le domaine européen, par exemple, la politique mise en œuvre changera d’autant plus que nous aurons réussi à faire changer celle de la France au préalable.
La preuve d’une France apte à agir avec détermination indépendamment des contraintes européennes a été administrée en 2003 lors de la démonstration grandeur nature de la capacité nationale : l’opposition à la guerre contre l’Irak. Si la France avait attendu les Européens… Alors qu’en prenant une décision souveraine forte, elle a attiré dans son sillage les déterminés (Allemands, Russes, Chinois) mais aussi les hésitants. Quand une grande nation ose, alors les perspectives s’ouvrent au plan international.
C’est pourquoi, il convient de ne pas se montrer trop faibles sur les responsabilités propres des gouvernements, des États nationaux. Il faut certes appeler à une massive intervention citoyenne, nationale, européenne, internationale. A ces propositions d’intervention populaire, je mettrais en parallèle : comment détacher les États nationaux des marchés financiers si ils sont tenus par eux, comme le disent nombre des « experts » du mouvement altermondialiste ? Quelles mesures peuvent prendre ces États à cet égard ?
C’est dans cette contradiction de la non-articulation du national à l’international qu’il faut trouver la limite des mouvements altermondialistes et leur difficulté à élargir leur base sociale ainsi qu’à faire la jonction avec une possible issue politique de transformation sociale profonde. Il est vrai que les partis de la « gauche plurielle » française portent de leur côté également une lourde responsabilité dans cette difficulté dans la mesure où eux-mêmes, en particulier le PCF, ont abandonné le terrain de la lutte pour cette transformation radicale de la société.

L’abandon
du projet
de transformation sociale

L’évolution et les glissements sémantiques et idéologiques des discours du PCF ainsi que ses pratiques et décisions entre 1992 et 2002 en sont une éclatante démonstration : renoncement à se battre clairement contre l’Europe de Maastricht sous couvert de la faire « bouger » de l’intérieur ; renoncement à la bataille contre l’OTAN et la participation française aux guerres otaniennes, adhésion au concept de « défense européenne »… Or qui d’autre qu’un parti révolutionnaire pourrait mettre en cohérence, faire la synthèse et proposer une issue aux revendications à la fois du mouvement social et du mouvement altermondialiste ?
Le rejet massif de Maastricht lors du référendum, le mouvement majoritaire de 1995, les luttes de Renault-Vilvoorde, LU, Michelin, Moulinex, l’impact populaire de l’échec du Sommet de l’OMC à Seattle, la montée de l’abstention… ne semblent pas traduire cette « désespérance » montrée du doigt par le PCF après les élections de 2002, mais bien un gigantesque et salutaire NON, trois fois, mille fois NON, un cri de révolte qu’il reviendrait aux forces politiques révolutionnaires de transformer politiquement en un OUI pour organiser la résistance et la construction d’une alternative anti-capitaliste. A cet égard, la direction du PCF a failli ! Elle n’a pas rempli son rôle historique, alimentant d’autant la « crise de la politique ».
Le mouvement altermondialiste souffre en outre du même « mal » que le mouvement politique : la négation de l’existence d’une classe ouvrière en France, qui serait absorbée aujourd’hui au sein d’une « classe moyenne de salariés ».
Tant que subsistera le refus d’admettre que, face à l’abandon et à l’impuissance cynique proclamée et revendiquée des politiques sur les événements, la révolte populaire des urnes est légitime, ni le mouvement altermondialiste, ni le mouvement politique ne trouveront d’oreille attentive au sein de la population qui souffre. La politique du renoncement entraîne inexorablement, non pas le désintérêt de la chose publique, mais le désintérêt pour les hommes politiques et par ricochet pour toute forme d’engagement.

Comment
sortir de
la contradiction ?

Œuvrer prioritairement à la modification du rapport des forces entre Capital et Travail, en commençant par agir en France, et en solidarité internationale avec toutes les luttes en Europe et dans le monde, permettra de freiner puis de renverser l’accélération d’un processus d’intégration et de concentration capitalistique qui affecte directement notre pays dans les conditions évidemment nouvelles de l’après-1990.
Les citoyens ne semblent d’ailleurs pas s’y tromper. A cet égard, la bataille contre l’OMC qui vient de remporter une nouvelle victoire à Cancun, après Seattle, illustre ce besoin des États et de leurs gouvernements. Ces deux victoires sont en effet le produit du refus combiné et contradictoire avant tout des pays du Sud, avec le soutien des forces politiques progressistes et syndicales des grands pays industriels du Nord, ainsi que de nombreuses ONG du Nord comme du Sud.

Michel Dalerin