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Le Manifeste - N° 7 - Juin 2004
Rapport Virville
Précarité à vie
Nous assistons actuellement à un éclatement du marché du travail et à son fractionnement. Le noyau de salariés à temps plein et à durée indéterminée est de plus en plus restreint, même si le salariat reste toujours, pour le moment, majoritairement en Cdi.
La couche des travailleurs précaires, le plus souvent très mal protégés, ne cesse de croître. Les contrats « atypiques » sont devenus la forme dominante de recrutement de la force de travail, tandis que le recrutement sur des postes à temps plein et à durée déterminée est de plus en plus minoritaire. Enfin, il existe une très large tranche de chômeurs pour lesquels les minimas sociaux font office d’allocation chômage. Il s’agit, soit de chômeurs à la recherche d’un premier emploi, soit de chômeurs longue durée et en fin de droit.
Destruction
du Code du travail
Pierre angulaire de la future loi dite de « mobilisation pour
l’emploi », ce rapport de 50 propositions vise ni plus ni moins la destruction
du Code du travail.
Parmi les propositions, on trouve le dessaisissement du Parlement de ses
prérogatives législatives en matière de droit du travail, la mise sous tutelle
des juridictions du travail, l’immunité patronale en cas de délit ou
d’infraction, la subordination de la loi au contrat, la généralisation de la
flexibilité et de la précarité des salariés, l’assouplissement des 35 heures et
l’aménagement du temps de travail.
Les mesures phares du rapport (propositions 14 à 23) esquissent un
bouleversement complet de la relation contractuelle, touchant à la fois la forme
et le contenu du contrat, sa durée, les conditions de sa rupture ou de sa
modification, et la frontière entre salarié et non-salarié.
La proposition la plus significative (n°19) est celle du « contrat de projet »,
qui annonce à terme la mort du Cdi. Ce type de contrat sera conclu sans terme
fixe, et pourra excéder la durée maximale de 18 mois des Cdi actuels, pour aller
jusqu’à 5 ans. On l’aura compris le Medef veut la précarité à vie !
Enfin, le droit des salariés à être représentés par les élus sera restreint. Les
comités d’entreprise et les délégués du personnel seront remplacés par un
« conseil d’entreprise » dénué de tout pouvoir vis à vis du patronat.
Ce rapport, comme bien d’autres, a pour but unique la satisfaction des
revendications patronales. Au cours de la négociation sur la « refondation
sociale », le Medef n’a globalement pas obtenu tout ce qui figurait parmi ses
objectifs. Mais il faut bien reconnaître qu’il est en passe d’obtenir
satisfaction avec ce gouvernement.
Le capitalisme français, à travers son porte parole et représentant – le Medef –
trépigne d’impatience. Il veut voir toutes les préconisations du rapport
intégrées à la future loi. L’objectif du Medef n’est pas de favoriser l’emploi
mais de « libérer » les capitalistes de leurs obligations légales à l’égard des
salariés. À travers l’exclusion des individus et le broyage du Code du travail,
il s’agit ni plus ni moins de renforcer la subordination du salariat à
l’exploitation capitaliste.
Une mobilisation d’ampleur
Il y a urgence à construire un front syndical unitaire et
puissant face au Medef, à son gouvernement, et face à leur détermination à
imposer la régression sociale.
Il est grand temps que nos organisations syndicales se préoccupent sérieusement
de répondre à ces attaques sans précédent depuis le régime de Vichy. Nos
responsabilités, et notamment celle de la Cgt, sont à la mesure de l’offensive
patronale. Les luttes passées et récentes attestent de la capacité de réaction
du salariat, dès lors que les organisations syndicales s’investissent sur le
sujet.
Les rapports Virville et Marimbert, qui doivent déboucher sur la « loi sur
l’emploi », n’ont d’autres buts que de faire baisser le coût du travail pour
accroître les profits des entreprises, tout en créant une main d’œuvre corvéable
à merci. Si le salariat reste à 80 % en Cdi, les mouvements de main-d’œuvre,
eux, se font à 80 % sur des emplois précarisés. Et lorsque l’on bascule dans la
précarité, on a peu de chance de repasser de l’autre côté. L’accroissement du
chômage et l’aggravation de la précarité se répercutent sur l’ensemble des
salariés qui, de peur d’être licenciés, ou parce qu’ils ont un statut précaire,
révisent à la baisse leurs exigences en matière de revenus, de charge de travail
et de stabilité. C’est cet enchaînement qui doit être stoppé. C’est possible.
Mais il faut collectivement nous en donner les moyens. Aujourd'hui, seule une
mobilisation d’ampleur des salariés, des précaires et des chômeurs peut imposer
des transformations positives.
Pierre Pillot