décrétons le salut commun

Le Manifeste - N° 7 - Juin 2004

 

Européennes
Vers un désaveu
populaire de l’Europe
 

Quelques jours avant les élections européennes, Le Manifeste montre les enjeux de ce scrutin et fait le point sur les candidatures à une élection qui, le moins qu’on puisse dire, n’attire pas les foules d’électeurs.

Les citoyens des désormais 25 pays de l’Union européenne sont appelés aux urnes le 13 juin (les Britanniques le 10 juin) pour élire les « eurodéputés ». En 1999, ces élections, qui n’ont jamais et nulle part suscité l’enthousiasme des peuples, avaient été marquées par une abstention plus forte encore que lors des échéances précédentes. En France, 53 % des inscrits avaient boudé les isoloirs. Malgré le poids de la propagande quotidienne et multiforme, les élites n’ont jamais réussi à convaincre les électeurs – plus particulièrement au sein des masses populaires – qu’ils étaient devenus des « citoyens européens ». Dans certaines sphères, le « parlement européen » est présenté comme le garant d’une « Europe démocratique ». Comme si l’élection au suffrage universel conférait par elle-même une légitimité à l’instance concernée. Cela ne serait vrai que s’il existait un peuple européen (constitué sur des références et repères politiques communs). Or il existe non pas un mais des peuples – au sens politique – dont aucun n’est prêt à accepter que s’imposent à lui des décisions au motif qu’elles seraient validées par une majorité d’Européens.

Un super
État fédéral

L’actualité concentre cependant les enjeux les plus cruciaux. Citons d’une part, le projet de « constitution européenne ». Si celui-ci faisait l’objet d’un accord entre les Vingt-cinq les 17 et 18 juin, cela ouvrirait alors la phase au cours de laquelle chaque pays devrait ratifier le dit projet ; que quelques uns d’entre eux, ou bien même un seul, répondent Non (par référendum ou procédure parlementaire, selon les pays), et c’est l’ensemble de l’édifice qui, juridiquement, s’effondre. Or une « Constitution » pour l’Union européenne constituerait une étape qualitativement nouvelle – en clair la disparition des pays au profit d’un super-État fédéral. Une perspective qui se heurterait à une opposition populaire, du Royaume-Uni à la Pologne, du Danemark à l’Irlande… En France même, si Jacques Chirac tarde à annoncer le principe d’un référendum, c’est qu’il sait que le Non aurait toutes chances de l’emporter. D’autre part, l’« élargissement » vient d’être célébré, là aussi sans déclencher la liesse qu’escomptaient les européistes. Du reste, les artisans de la « réunification européenne » ne cachent plus la véritable nature de l’intégration des pays de l’Est : une « victoire de la liberté » mettant fin au « joug communiste imposé à l’Europe orientale » – en clair l’existence, pendant un demi-siècle d’un système autre que capitaliste sur la moitié du vieux continent.
C’est au regard de ces enjeux qu’on peut mesurer le positionnement des différentes forces politiques. Les deux grands partis de gouvernement – UMP et PS – apparaissent à cet égard plus que jamais sur la même longueur d’onde, même si les socialistes (tout particulièrement la « gauche » du PS) mettent un point d’honneur à s’afficher plus fédéralistes que les amis d’Alain Juppé. Leur slogan – « demain, l’Europe sociale » – n’est pas sans évoquer ce que déclarait François Mitterrand à Copenhague : « l’Europe sera sociale ou ne sera pas ». C’était… en 1982. Du côté de la place du Colonel Fabien, on critique également l’ultra-libéralisme du projet Giscard, mais on ne remet plus en cause le principe d’un abandon de souveraineté. Tournant le dos à des décennies de combats pour l’indépendance nationale, les dirigeants du PCF proposent désormais le slogan « l’Europe, Oui, mais pas celle-là ». Quant aux listes LCR-LO, elles se situent peu ou prou sur cette même longueur d’onde ; du reste, les élus de ces formations ont siégé pendant cinq ans dans le groupe présidé par Francis Wurtz. Enfin, sans surprise, l’UDF d’un côté, les Verts de l’autre, surenchérissent en faveur d’une dissolution des nations politiques – réputées archaïques et impuissantes.

Rompre avec l’ordre dominant

Dès lors, le champ des listes contestant le radieux horizon européen est relativement étroit. Mettons de côté le Front national, dont le rôle, ô combien utile pour l’idéologie dominante, est de rendre tabous des thèmes qu’on lui a honteusement laissé squatter – alors qu’en France, la défense de la nation, de la Révolution à la Résistance, est historiquement progressiste.
En 1999, Charles Pasqua, en s’adressant à des électeurs bien au-delà de son camp, avait créé la surprise par un score qui l’avait placé en seconde position. Ayant tourné le dos à une telle stratégie, il peine aujourd’hui à exister, pendant que son ex-coéquipier, Philippe de Villiers, met certes en cause l’intégration européenne, mais fait le choix de s’adresser essentiellement aux « déçus de l’UMP ». A l’autre bout de l’échiquier politique, le PT (Parti des travailleurs) a décidé de partir à la bataille en liant souveraineté populaire, défense des droits ouvriers, et unité de la République. Il souligne que tous les choix gouvernementaux sont directement liés à l’Europe. Enfin, plusieurs des groupes et pôles qui ont rompu, jadis ou naguère, avec le parti de Robert Hue et de Marie-Georges Buffet appellent à l’abstention. Selon eux, plus le taux de participation sera bas, plus l’Europe pourra être délégitimée, ses initiateurs affaiblis et ses orientations combattues.
Au final, il faudra être notamment attentif à un critère : Si, pris ensemble, les partis pro-UE ne recueillent les suffrages que d’un électeur inscrit sur trois – voire moins – alors on pourra à bon droit parler d’un très lourd désaveu populaire face à l’Europe. Ce qui serait un réel facteur d’espoir pour tous ceux qui veulent avant tout préserver la liberté de chaque peuple – en particulier la liberté de rompre avec l’ordre dominant.

Pierre Lévy