le genre humain

Le Manifeste - N° 6 - Mai 2004

 

Loi Perben 2
La démocratie à l'oeuvre

C’est au nom de la lutte contre le terrorisme que plusieurs pays ont durci leur législation et que d’autres ont adopté de nouvelles lois, toutes plus répressives, que certaines organisations et mouvements de libération ont été interdits sous l’accusation contestable de terrorisme, et par ricochet ont porté atteinte aux libertés d’expression et aux libertés individuelles.

Aux États-Unis, le Patriot Act a été promulgué dès le mois d’octobre 2001, suivi du programme Us Visit en direction des étrangers qui veulent entrer sur le territoire américain, souvent de simples touristes.
La Grande-Bretagne mérite qu’on s’y arrête. Sa loi antiterroriste permet aux autorités de détenir de façon illimitée, sans inculpation ni jugement, tout étranger soupçonné de constituer une menace pour la sécurité du pays. Les suspects peuvent être jugés de manière préventive lors de procès secrets, sans jury et avec des magistrats et des avocats « sélectionnés » par les services secrets.
Jugements « préventifs », arrestations et détentions illimitées basées sur le « soupçon », procès secrets, autant de notions nouvelles en matière de droits de la personne où la présomption de culpabilité l’emporte sur celle de l’innocence. On se croirait dans un roman d’Orwell.

Renforcer les pouvoirs
de police

La France n’a pas échappé au syndrome sécuritaire né de l’après 11 septembre depuis la « loi sur la sécurité quotidienne ». Perben 2, dernier avatar de la montée en puissance du tout sécuritaire, se définit comme une loi sur « l’adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité ».
Adoptée par l’Assemblée nationale le 11 février dernier et validée par le Conseil constitutionnel qui l’a légèrement et partiellement modifiée, elle s’inscrit parfaitement dans un contexte européen qui renforce les pouvoirs de police.
En effet, avec la nouvelle loi, la police pourra enquêter en dehors du cadre de l’institution. Les enquêtes préliminaires, par exemple, seront dotées de moyens semblables à ceux de l’instruction. Et seront organisées sans que la personne concernée en ait eu connaissance, car il s’agit dans ce cas d’une procédure secrète et d’une durée illimitée. Les procureurs dirigeront les enquêtes préliminaires de la police, et ce seront eux également qui choisiront le type de procédure la mieux « adaptée ».
Ainsi celle dite d’exception, où la garde à vue passe à 4 jours sans assistance d’un avocat pendant les 36 premières heures, qui autorise la police à perquisitionner de nuit, à poser des écoutes téléphoniques, des micros et des caméras dans les lieux privés. Détention provisoire, infiltrations et rémunération des indicateurs font partie du lot qui concerne la « criminalité organisée ».

Selon que vous soyez
puissant ou misérable

Il y a aussi la procédure de « comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité » qui inclut la possibilité du « plaider coupable ». Elle évite le procès, et la procédure l’emporte sur la loi. C’est un chantage : reconnaître sa culpabilité pour alléger la peine encourue. Elle concerne les personnes qui risqueraient une peine inférieure ou égale à 5 ans de prison.
Le « plaider coupable » existait déjà sous la forme de la « composition pénale ». Or la « composition pénale » ne pouvait pas amener à une peine de prison mais à une amende, des TIG, des retraits de permis, des interdictions de fréquenter certains lieux…
En cas d’acceptation de la peine, qui ne pourra excéder un an de prison ferme, et si le juge accepte l’homologation de cette peine, il rend une « ordonnance » qui fera office de jugement.
Aucune procédure particulière n’a été prévue en ce qui concerne les infractions économiques et financières. Le « plaider coupable » va offrir à ces délinquants la possibilité d’échapper à la justice. D’autant que le choix des poursuites dans le cadre des procédures à adopter sera réservé à un procureur contrôlé par les procureurs généraux nommés en Conseil des ministres, c’est-à-dire la possibilité d’échapper à la justice et aux poursuites moyennant le paiement d’une amende.
Par contre, Perben 2 définit de nouveaux délits, comme « l’aide au séjour irrégulier » !
Ce qu’il faut retenir de cette loi, outre qu’elle renforce les pouvoirs de la police et du parquet, qu’elle crée des procédures d’exception, qu’elle joue sur la reconnaissance de la culpabilité, c’est qu’elle renforce le contrôle de l’exécutif, et que l’équilibre des pouvoirs entre cet exécutif et les politiques n’est plus respecté, puisque le procureur de la République recevra des instructions du ministre.
Enfin, la loi Perben 2, sensée lutter contre la grande criminalité (trafics de drogue, d’êtres humains, grand banditisme, etc.) pourra s’appliquer à la délinquance ordinaire.
Et l’on sait bien que malheureusement rien n’a changé, et que
Selon que vous serez puissant ou misérable
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.

Marie-Catherine Andreani