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Le Manifeste - N° 6 - Mai 2004
Grandes manoeuvres autour de l'atome
Sarkozy a présenté le 15 Avril la stratégie française de poursuite de l’investissement dans le nucléaire. Un débat qui n’est pas seulement technique….
Mal remis de sa gueule de bois électorale, le gouvernement
n’est guère en état de dessiner l’avenir. Pourtant, en matière d’énergie, c’est
l’heure des choix car les centrales nucléaires installées sous Giscard arrivent
à l’âge de la retraite. Un enjeu difficile pour un gouvernement affaibli.
Surtout quand le calendrier européen affiche dans le même temps la privatisation
d’Edf.
Toujours est il que notre baudet du Poitou traîne un gros colis dans sa besace :
l’Epr, nom anglais du réacteur nucléaire de troisième génération. Un bestiau
impressionnant capable de résister à la chute d’un avion de ligne, à un
tremblement de terre ou à la fusion de son propre cœur radioactif. De tels
équipements ne se rentabilisent qu’en grande série. Ils exigent d’énormes
investissements dont le privé est peu capable. Ils ne sont pas compatibles avec
la vision à court terme des obsédés du Cac 40. L’entrée en service des Epr est
prévue pour 2020. Elle n’est pas envisageable si, à l’image des chemins de fer
britanniques, les successeurs privés d’Edf prennent la forme de gentilles
entreprises « régionalisées » et organisées en réseau. Quant à l’intérêt de
remplacer un monopole public par un mastodonte privé, le gouvernement aura du
mal à le mettre en évidence.
Suppression
du transport individuel privé
C’est pourquoi la tentation est forte de sacrifier l’optimum
technique à la frénésie libérale. On peut imaginer toute une série d’alliances
contradictoires autour de ces projets. Certes, le parti « vert » est
officiellement contre la privatisation d’Edf. Ses relations avec cette
entreprise sont passablement dégradées. Les pressions vont donc se multiplier
pour que les exécutifs régionaux refusent l’implantation de centrales. Déjà un
réseau « pour sortir du nucléaire » envisage un tour de France de
manifestations.
De leur côté, les communistes doivent aborder ce dossier avec la tête froide.
D’après les calculs même de ses adversaires, les centrales nucléaires permettent
d’économiser plus du tiers de la consommation pétrolière nationale1.
Dans un contexte où l’impérialisme emploie la violence pour contrôler sources et
voies d’acheminement des hydrocarbures, cela ne peut laisser indifférent. Les
éoliennes, c’est bien joli (ou plutôt très laid), mais ne sauraient dépasser le
vingtième des performances de l’atome. Le prix du Kw obtenu est du double ou du
triple. Edf en garantit actuellement l’achat. C’est un des avantages du service
public ! D’autres imaginent de se passer de cette énergie par une reconversion
radicale du mode de consommation. S’ils croient possible de convaincre les
capitalistes de s’abstenir de créer des produits nouveaux et dispendieux, ils
peuvent rêver ! Car l’enjeu n’est pas seulement de couper la climatisation des
voitures et des logements. C’est notamment la suppression du transport
individuel privé… Dans ce débat, les verts se sont illustrés en partant en
croisade contre… le chauffage électrique.
Ces aspects ne doivent en aucun cas conduire à faire l’impasse sur les problèmes
de sécurité. Si le fonctionnement de l’Epr est garanti « plus sûr » que les
centrales actuelles cela signifie fatalement que celles-ci tolèrent un certain
niveau de danger... Quant à la gestion des déchets, elle mérite à peine ce nom.
Même ceux que les arguments « antinucléaires » laissent froids doivent convenir
que les technocrates giscardiens ont traité le problème avec une incroyable
légèreté. Il en fut de même de leurs successeurs. Enfin, en 1991 une loi a
obligé l’État à organiser la recherche sur le sujet et à ce qu’il en soit rendu
compte annuellement au Parlement. Ce dernier devrait en débattre à nouveau en
2006. Mais on ne dispose toujours pas d’un inventaire précis des déchets
permettant d’appréhender de manière incontestable le volume de ceux dits à haute
activité et à vie longue. Ce sont les seuls qui posent des problèmes inédits en
matière de sécurité industrielle. Dans une réponse à un sénateur Ump, François
Patriat, sous-ministre du gouvernement Jospin n’avait pas démenti que les
recherches sur la transmutation, c’est-à-dire le « retour » des déchets vers un
statut plus naturel de la matière en étaient au point mort. C’était le 18
décembre 2001…
La transparence
s’impose
Certains produits sont radioactifs pour plusieurs dizaines de
milliers d’années, cela donne à réfléchir ! Leur volume actuel ne remplirait pas
beaucoup plus qu’une piscine olympique. Mais ces affirmations rassurantes ne
suffisent pas. Il manque toujours un chiffre exact et un contrôle annuel des
nouveaux « versements ».
Edf confie le traitement des résidus à la Cogema. On dit même que
l’établissement public national renâclerait à utiliser le Mox, combustible
partiellement retraité mélangeant Uranium et plutonium….
La construction de l’Epr apparaît comme la moins mauvaise solution aux problèmes
énergétiques de la France d’aujourd’hui. L’approuver va de pair avec une lutte
résolue contre la privatisation d’Edf. Ceci ne veut pas dire aveuglement face
aux dérives technocratiques. Hier, les « antinucléaires » affirmaient que l’État
prétexterait la protection des centrales pour multiplier les mesures policières.
Aujourd’hui, l’information sur la filière est restreinte au nom de la lutte
contre les « terroristes ». Pourtant, dans le cadre d’une gestion publique et
responsable, la transparence s’impose. C’est un enjeu qu’il ne faut pas laisser
à divers lobbys rétrogrades et obscurantistes.
Olivier Rubens
1 Calculs effectués d’après les taux de conversion proposés par le député vert Hascoët dans un débat A.N. du 21 Janvier 1999.