groupons-nous et demain

Le Manifeste - N° 5 - Avril 2004
2 parties :
Que chaque adhérent soit acteur et décideur (André Gerin)
Le point de vue des communistes de Grèce (Extrait d’un article publié dans le journal Rizospastis du 15 février dernier)
 

Pas de ralliement au « parti de la gauche européenne »
Le trompe l'oeil

La direction du PCF, qui a pris part aux discussions préparatoires, est partie prenante du projet d’un « parti de la gauche européenne ». Des décisions essentielles pour l’avenir de ce parti vont être prises sans que cela ait donné lieu à un vrai débat national parmi les communistes.

Déjà dans notre numéro 3, un article de Jean-Paul Le Marec donnait des éléments d’informations essentiels sur la constitution d’un « parti de la gauche eurpéenne ». Nous voulons aujourd’hui apporter d’autres éléments à la réflexion de chacun, en faisant connaître plusieurs points de vue de communistes français et étrangers qui s’opposent à ce projet. Nous publions de larges extraits de la lettre ouverte à Marie-George Buffet d’André Gerin, député-maire de Vénissieux et d’une déclaration des communistes grecs.
S’il s’agissait de créer une instance de coordination des communistes de toute l’Europe, nous ne pourrions que nous réjouir. Comme communistes, nous sommes bien sûr internationalistes. Beaucoup d’entre nous pensent même qu’il faut retrouver les voies d’une véritable internationale, pas pour recréer un centre qui déciderait pour l’ensemble des partis, mais pour inventer une internationale révolutionnaire d’aujourd’hui qui permette aux communistes de confronter leurs analyses, de coordonner leurs actions et d’apporter toute leur contribution à la lutte contre le nouvel ordre impérialiste.
Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Ce parti s’inscrit dans le cadre que le projet de constitution européenne réserve au parti.
Quelle indépendance possible pour un parti qui acceptera ce préalable et qui recevra des subventions de l’Europe ?
De plus, ce nouveau « parti de la gauche européenne » ne sera nullement un parti rassemblant les communistes d’Europe. La plupart des partis communistes d’Europe ne s’y retrouveront pas. Certains partis représentés au Parlement européen et qui ont pris part aux discussions préparatoires, (comme les Grecs ou les Portugais) refusent de se fondre dans ce nouveau parti.
Enfin, renouant avec les aspects les plus critiquables des anciennes internationales, le parti de la gauche européenne entend être un véritable parti, de caractère supranational, avec une direction européenne et des décisions prises à la majorité qui pourront s’opposer aux décisions de certains des partis nationaux.
Pour toutes ces raisons et parce que, pour nous, l’internationalisme ne saurait se limiter à l’Europe, voire à une partie seulement de l’Europe, nous pensons qu’il est indispensable d’engager le débat sur ce sujet. Le Manifeste entend ouvrir ses colonnes à ce débat et invite les lecteurs à faire connaître leur avis.

 

Que chaque adhérent
soit acteur et décideur

La direction du PCF nous trompe ou se trompe. La dilution du parti communiste français serait programmée pour le mois de mai ! L’information peut sembler incroyable. Alors que les militants mènent campagne pour les élections régionales et cantonales, la direction du PCF met la dernière main aux statuts du « parti de la gauche européen » dont le congrès fondateur doit se tenir à Rome, les 8 et 9 mai. Après quelle consultation des communistes ? Seul un congrès extraordinaire est souverain pour prendre une décision aussi importante que créer un autre parti.
Après avoir manœuvré pour que le PCF n’aille pas à la bataille des régionales sous ses propres couleurs, après avoir monté en Ile de France une liste d’abandon de l’identité communiste, la direction s’apprête à mettre en œuvre ce grand mot d’ordre, dans le plus grand catimini : « Le champ d’action politique majeur, c’est l’Europe » !
« Nous unifions le parti de la Gauche alternative et progressiste sur le continent européen », est-il écrit dans un préambule rédigé à Paris, le 24 janvier. « Nous nous référons aux valeurs et traditions du mouvement socialiste, communiste et ouvrier, du féminisme et du mouvement pour l’égalité des sexes, du mouvement pour l’environnement et le développement durable. »
Pourquoi ce trompe l’œil européen ? Pourquoi un « parti de la gauche européen », véritable fourre-tout ? Dans une Europe à 25, pilotée par un directoire des puissants, la belle idée d’avenir d’une Europe de l’Atlantique à l’Oural n’est-elle plus à l’ordre du jour de notre stratégie politique ?
[…] À la supranationalité européenne que les communistes combattent depuis toujours, le « parti de la gauche européen » veut ajouter la supranationalité d’un parti. Une telle organisation rappelle la deuxième internationale qui a failli, malgré les appels pressants de Jaurès, le fondateur de L’Humanité !
Aux fructueuses coopérations que préconise le PCF, à l’internationalisme qui est une valeur fondatrice du mouvement communiste, le « parti de la gauche européen » veut substituer un super appareil.[…] Un parti en désaccord se trouvera dans l’obligation de lutter contre le « parti de la gauche européen », y compris dans son propre pays, si une orientation ne lui convient pas. C’est le droit de tendance poussé à la schizophrénie ! Il n’est nul besoin d’avoir fait de longues études de politologie pour voir les dégâts qu’une telle organisation peut engendrer au niveau des luttes et actions concrètes dans les entreprises, les cités, les quartiers, en France comme en Europe.
[…] Un quart de siècle de social-démocratie, cela fait des dégâts ! D’abandons en renoncements, l’appareil du PCF s’est fondu dans le moule d’institutions dont pourtant tout le monde s’accorde à reconnaître qu’elles dépérissent. 50 % d’abstention, ce n’est plus la démocratie.
Comme le parti socialiste, qui essaie de nous resservir froid les plats du gouvernement Jospin, estimant que les électeurs ont eu tort de ne pas les apprécier, on peut juger que les abstentionnistes se mettent d’eux-mêmes hors-jeu. Le problème, c’est que ce sont les électeurs des milieux populaires qui désertent les urnes, ceux qui souffrent le plus durement de la politique de la droite et devant lesquels on agite frénétiquement le chiffon délavé de l’alternance.
Comment des révolutionnaires pourraient-ils faire l’impasse sur cette douloureuse question ? Comment rester sourds et aveugles à la misère économique, sociale, démocratique, culturelle dont souffrent des millions de gens dans notre pays. Il faut avoir le courage de dire aujourd’hui qu’il ne peut pas y avoir d’issues dans une alternance en 2007 qui rééditerait celle de 1997.
Pour battre la droite, il faut en finir avec les fausses espérances d’un jeu politicien qui n’intéresse plus que ceux qui s’y adonnent. Il faut retrouver le chemin de la lutte, de la solidarité, dans les entreprises, les quartiers, les cités. Il faut ensemble imaginer des formes nouvelles de pouvoirs et de contre-pouvoirs pour faire barrage, partout où c’est possible, à l’indécente domination de la finance, ruineuse pour tout notre peuple.
[…] La Nation demeure le cadre avancé pour l’émergence de nouveaux combats anticapitalistes et la marche vers le socialisme. Le communisme est une notion qui s’est forgée dans l’histoire, singulièrement en France, depuis la Révolution française et Babeuf. L’idéal communiste colle avec l’idéal national, l’un et l’autre ayant pour socle commun la souveraineté populaire.
L’internationalisme, bien loin de conduire à l’amalgame, est l’expression de cette souveraineté, libérée des enjeux de domination. Qui oserait dire aujourd’hui que l’Europe est autre chose qu’une effroyable machine à contraindre les peuples ?
Quand bien même on créditerait le « parti de la gauche européen » des plus louables intentions, il se verrait broyé en un rien de temps, faute de s’appuyer sur des partis révolutionnaires suffisamment solides dans chacun des pays européens. Faut-il considérer qu’il n’y a plus d’avenir pour des partis communistes en Europe, alors que les valeurs et les idéaux qui ont porté le socialisme et le communisme sont toujours renaissants et que le communisme n’a pas dit son dernier mot ?
La direction du PCF doit ajourner sine die tout projet de rallier le « parti de la gauche européen ». Elle doit mettre en débat la question, largement au sein du parti et organiser un congrès extraordinaire. Pour ma part, j’appelle ce débat de mes vœux, un débat loyal et profond. J’ai confiance dans les militants communistes pour lui donner une tenue éminemment pédagogique et combative.
J’espère qu’il n’est pas trop tard. C’est l’existence même du PCF, d’un parti révolutionnaire en France qui est en jeu.
Que chaque adhérent soit acteur et décideur de ce choix stratégique vital !

André Gerin

 

Le point de vue
des communistes de Grèce

Le parti de
la gauche européenne :
diviser au nom de l’unité

Pour commencer, nous attirons l’attention sur le fait qu’il n’y a ni objectifs communs ni motivations similaires parmi tous les partis qui ont signé l’Appel de Berlin, le 10 janvier 2004.
Regardons brièvement les résultats de ce processus :
- il a élargi les divisions et a créé de nouvelles brèches au sein des partis d’Europe et entre eux, en violant l’indépendance des partis, leur égalité, en ne reconnaissant pas leurs différences d’approche, en introduisant la logique de l’exclusion et l’idée de l’UE de la coopération renforcée dans les relations entre partis.
- il a provoqué une division au sein du groupe GUE/NGL, les partis nordiques étant poussés à former leur propre pôle.
- une division aussi au sein de partis qui prennent part au processus. Un exemple caractéristique est donné par le journal Liberazione à propos de la réunion de la direction nationale de Refondation, le 28 janvier 2004, lors de laquelle le « parti de la gauche européenne » a été discuté pour la première fois et où son principe a été adopté par une maigre majorité d’à peine 3 voix.
Et tout cela… conformément aux principes de la règle de la Commission européenne.

Un parti selon les règles de
la Commission et au service de l’UE

1 – l’établissement de partis européens n’est pas un concept issu des peuples ou des mouvements, c’est une idée qui relève de la règle de la Commission européenne.
2 – cette règle énonce de manière non équivoque les raisons de l’existence de tels partis. Il ne s’agit pas bien sûr de promouvoir la coopération entre forces de gauche, progressistes et communistes. Au contraire, nous lisons que « les partis politiques au niveau européen sont importants en tant que facteur d’intégration au sein de l’Union et qu’ils peuvent contribuer à former une conscience européenne ».
3 – le parti de la gauche européenne n’est pas seulement établi avec pour condition qu’il respecte les principes sur lesquels repose l’Union européenne, fondés sur les traités, mais il faut qu’il le prouve par sa pratique. (article 3, paragraphe C : « il doit observer, en particulier dans son programme et son activité, les principes sur lesquels l’Union européenne est fondée ».
On peut s’interroger quant à la position que pourrait prendre un tel parti à propos de Cuba, s’il doit par définition accepter l’interprétation que fait l’UE de la démocratie.
4 – le parti européen est comptable devant le Parlement européen de tout changement dans son programme ou sa constitution. Ainsi, il sera complètement lié.
5 – il fera l’objet d’une surveillance constante et de vérifications de même que du point de la conformité de son programme et de ses actions avec les principes de l’UE.
C’est une parodie de parti, même du point de la démocratie bourgeoise. La seule chose qui reste en définitive est la loyauté et l’engagement envers le centre impérialiste européen, qui doit être prouvé par la pratique !
Le seul argument qui peut être avancé pour justifier une organisation politique formée sur la base de ces spécifications est la promesse d’un maigre financement. Ainsi, tout cela est fait pour une poignée d’euros. Et après ils disent « les peuples passent avant les profits »… Il faut noter que les partis nordiques ont récemment formé leur « Alliance de la gauche nordique » (en réaction à cette opération) et en dehors des prescriptions de la règle européenne ci-dessus mentionnée, et donc sans concessions envers les instances européennes.
Une organisation comme le Parti de la gauche européenne sera utilisée comme un instrument pour désarmer les partis et les mouvements dans leur confrontation avec la politique de l’Europe du capital et de la guerre. Elle sera utilisée, comme cela a été essayé à Lisbonne, pour bloquer toute tentative indépendante au niveau européen.
Le texte de Berlin, qui est si « visionnaire » au sujet de « l’autre Europe » ne contient pas la moindre référence à la raison pour laquelle cette autre Europe, qui est si réalisable, n’est pas une réalité aujourd’hui. Des mots comme Maastricht, Amsterdam, Nice, armée européenne et impérialisme ont été relégués dans les « flammes de l’enfer ».
Aucune allusion n’est même faite au projet réactionnaire de Constitution européenne que plusieurs mouvements combattent déjà, dans le même temps qu’il est proclamé que l’élargissement est « une chance et un défi aux forces de gauche pour qu’elles reprennent l’initiative » ! Imaginez qu’il y a des partis dans ce groupe qui avaient caractérisé l’élargissement de l’Union européenne comme « l’annexion » de nouveaux pays.

Perspectives pour une large
coordination en Europe aujourd’hui

La recherche d’alternatives populaires aujourd’hui passe par des positions plus avancées. De telles alternatives, pour être convaincantes, doivent être en totale démarcation avec la social-démocratie et le centre-gauche. Pour être efficaces, elles doivent répondre à l’intensité de l’attaque et correspondre à l’aiguisement des luttes populaires. Pour être réalistes, elles doivent maintenir ouvert le front de la lutte contre l’Union européenne, l’Otan, la domination des monopoles et l’impérialisme.
Une telle perspective en Europe, requiert une large alliance de forces qui combattent l’Europe de Maastricht, les préceptes de la stratégie de Lisbonne, la militarisation et les guerres impérialistes. C’est pourquoi il est nécessaire aujourd’hui de combattre les plans de création d’un parti européen, afin d’assurer l’indépendance des partis progressistes de gauche et communistes à l’égard de l’Union européenne, et de promouvoir une coordination et une action commune sur la base de l’égalité et du respect mutuel.

Extrait d’un article publié
dans le journal Rizospastis
du 15 février dernier.