le monde va changer de base

Le Manifeste - N° 5 - Avril 2004

 

Venezuela : une révolution à la croisée des chemins.
Un puissant brasier

Depuis la moitié des années 90, l’Amérique latine est frappée par une très grave crise économique. Le capitalisme y est dans une profonde impasse. Les masses ont subi des attaques majeures et répétées contre leur niveau de vie. Mais face à la pression redoublée de la Banque mondiale et du FMI, elles ne sont pas restées inertes. En quelques années, le continent s’est transformé en un puissant brasier révolutionnaire où de nouveaux foyers s’allument les uns après les autres : en Équateur, en Argentine, au Pérou, en Bolivie, etc.
C’est dans ce contexte général que la « révolution bolivarienne » a fait irruption.

En 1998, Hugo Chavez remportait les élections présidentielles avec 60 % des voix. Son programme proposait de limiter le contrôle des puissances impérialistes sur les richesses du pays, de façon à pouvoir engager des réformes sociales favorables aux sections les plus pauvres de la population.
Ce programme était assez modeste, mais heurtait de front les intérêts des classes dirigeantes du Venezuela et des puissances impérialistes. Quand, partout dans le monde, l’heure était aux attaques à répétition contre le niveau de vie de la population, les capitalistes ne pouvaient tolérer qu’un gouvernement montre l’exemple contraire. Ils considéraient les différentes réformes sociales engagées par le gouvernement de Chavez – le contrôle de l’État sur l’industrie pétrolière (première source de revenus du pays), la réforme agraire, l’investissement massif dans l’éducation, etc. – comme autant d’affronts impardonnables. Par-dessus tout, ils craignaient que la mobilisation populaire déclenchée par l’élection de Chavez ne menace les fondements mêmes du capitalisme au Venezuela et dans le reste de l’Amérique latine.

Échec du coup d’État

Le 11 avril 2002, l’opposition a tenté un coup d’État. Mené par des généraux réactionnaires de l’armée, il était soutenu par le gouvernement américain, la plupart des médias, les dirigeants des entreprises capitalistes, des dirigeants syndicaux corrompus et l’Église catholique. Après avoir arrêté Chavez et investi le palais présidentiel, l’opposition a annoncé, via ses chaînes de télévision privées, que Chavez avait démissionné. La Constitution a été suspendue. Le nouveau gouvernement, dirigé par Pedro Carmona, le « patron des patrons » vénézuelien, a immédiatement été reconnu par les États-Unis et l’Espagne.
Après quelques heures de confusion, les travailleurs et la jeunesse de la capitale se sont mobilisés par centaines de milliers, toujours plus convaincus qu’il s’agissait d’un coup d’État déguisé en démission présidentielle. Dans les casernes, la majorité des militaires se sont soulevés contre les auteurs du coup. Finalement, face à l’ampleur de la mobilisation, les soldats en poste à l’intérieur du palais sont passés à l’action et ont arrêté les membres du nouveau gouvernement. Le 13 avril, Chavez était ramené vivant à Caracas.
La mobilisation massive contre le coup d’État offrait au gouvernement de Chavez l’occasion d’en finir une fois pour toute avec le capitalisme. Toute la classe dirigeante était discréditée aux yeux du peuple. Des mesures décisives – la nationalisation des grandes entreprises et des banques, l’expropriation des grands propriétaires terriens, l’arrestation des auteurs du putsch – auraient été largement soutenues par la population. Mais Chavez a choisi la voie du « compromis » avec l’opposition. Aucun putschiste n’a été arrêté, et la plupart des leviers du pouvoir économique sont restés dans les mains de la classe dirigeante.
Les capitalistes vénézueliens, eux, n’étaient prêts à aucun compromis. En décembre 2002, ils sont repassés à l’offensive en lançant une campagne de sabotage économique. Ils ont notamment organisé un vaste lock-out, que les médias français ont présenté, conformément aux mensonges de l’opposition, comme une « grève générale ». Face au risque d’étranglement économique, les travailleurs vénézueliens se sont à nouveau massivement mobilisés. En particulier, les travailleurs de l’industrie pétrolière, la PDVSA, en ont pris les commandes. Ils ont réparé et remplacé les installations sabordées par les dirigeants de l’entreprise et se sont organisés de façon a en assurer le fonctionnement normal. Dans la rue, les grandes manifestations contre le sabotage économique se multipliaient. Fin janvier 2003, l’opposition dut battre une nouvelle fois en retraite.

Si la révolution n’avance pas,
elle devra reculer

Ainsi, à deux reprises, la réaction s’est heurtée à la puissance du mouvement révolutionnaire. Ceci dit, bien qu’elle en soit sortie affaiblie, elle n’a pas jeté l’éponge. Les capitalistes vénézueliens et étrangers dominent toujours l’économie. L’État et l’armée sont encore infestés d’éléments contre-révolutionnaires. Au fond, l’opposition n’attend qu’une nouvelle occasion d’agir, comme le prouve la campagne qu’elle a menée, en vain, pour tenter de convoquer un référendum susceptible de révoquer le président.
De leur côté, les masses vénézueliennes ne pourront pas indéfiniment faire obstacle à la contre-révolution. De tels mouvements imposent de lourds sacrifices au peuple et sont des grands consommateurs d’énergie psychologique. Faute de nouvelles conquêtes de la révolution, et dans un contexte économique très difficile, des larges sections de la population risquent de se lasser et de retomber dans la passivité, ce qui ouvrirait à la réaction la possibilité de briser le processus révolutionnaire.
Il existe cependant une deuxième voie : celle qui mènerait la révolution jusqu’à son terme, c’est-à-dire jusqu’au socialisme. En socialisant les banques, les grosses industries, les réseaux de distribution, et en les plaçant sous le contrôle démocratique des travailleurs, le mouvement révolutionnaire accomplirait un pas décisif vers la résolution des problèmes du peuple vénézuelien. De telles mesures priveraient les capitalistes de la possibilité de saboter l’économie. Par ailleurs, elles auraient un impact énorme sur tous les peuples de l’Amérique latine, et ouvrirait la perspective d’une extension de la révolution socialiste à l’ensemble du continent.
Le temps joue en faveur de l’opposition. Si la révolution vénézuelienne n’avance pas, elle devra reculer, et sans doute dans un bain de sang, comme ce fut le cas au Chili en 1973. Si, par contre, elle avance résolument vers le socialisme, le capitalisme reculera non seulement au Venezuela, mais sur l’ensemble du continent latino-américain.

Jérôme Métellus