La terre n'appartient qu'aux hommes

Le Manifeste - N° 5 - Avril 2004

 

Sanofi-Aventis : quand le petit veut manger le gros
Le lot des paquets
de travailleurs

C’est peu dire que l’offre public d’achat de Sanofi sur Aventis défraye la chronique! Le Manifeste montre dans quel paysage productif se réalise cette grande manœuvre. Sans oublier les travailleurs qu’on se transmet comme des paquets…

Avec 8 milliards d’euros de chiffre d’affaires, Sanofi se glorifie d’une belle année 2003. L’ancienne filiale d’Elf fait plutôt figure d’outsider puisqu’Aventis, qui détient 15% du marché français a vendu en 2002 près de 18 milliards d’Euros de médicaments. Pourtant, c’est le petit requin qui tente de manger le gros. Un épisode franco-français et un peu teuton des grandes manœuvres dans la santé. Celles-ci ne sont ni une nouveauté ni une surprise. Plusieurs dizaines de fusions-acquisitions ont été réalisées depuis 1995 dans cette activité de pointe. 8 des 10 leaders mondiaux en sont issus. Le secteur est déjà très concentré. C’est une nécessité. Il s’agit d’amortir des dépenses de recherche de moins en moins productives… En plus des deux fiancés, la France ne compte qu’un troisième laboratoire de taille internationale : Servier. Près de 60 % des salariés du secteur travaillent dans des entreprises à capitaux étrangers. Pour ceux-ci, l’implantation en France de sites de production est un moyen d’accéder au marché. En revanche, la recherche demeure en règle générale dans le pays d’origine. De ce point de vue, Aventis constitue une exception. Ses centres de recherche les plus importants sont aux États-Unis et en Allemagne. Au niveau mondial, les 15 premiers réalisaient 86 % de la Recherche Développement en 2000. Quelques nationalités seulement sont représentées dans ce club très sélectif et très anglo-saxon : la Suisse, le Japon, l’Allemagne et un strapontin suédois.
Des accords de coopération en matière de recherche viennent compléter cette super-concentration. La sous-traitance se développe aussi. Les grands groupes font travailler des laboratoires de taille moyenne. Ils exploitent aussi des équipes de chercheurs des pays de l’Est ou d’Inde.

Exigence
d’un pôle public
de santé

Les groupes doivent aussi concentrer leurs efforts sur la commercialisation. Moins que nul part ailleurs, l’économie du médicament n’est placée sous le signe du marché et de la concurrence.. Ces quelques producteurs font face quelques acheteurs décisifs : les grands assureurs américains qui décident du destin d’un médicament en l’homologuant pour un pays qui représente 40 % de la consommation mondiale et où le prix des « nouveautés » est libre. Aventis serait dès aujourd’hui le troisième groupe mondial par ses effectifs commerciaux.
Si le mariage se réalise, le groupe se positionnerait dans les cinq premiers mondiaux. Pour le plus grand profit de ses actionnaires : Total et L’Oréal, propriété de Madame Bettencourt, la femme la plus riche de France….à quelques encablures de la résidence de la milliardaire normande, Sanofi entend mettre en vente son usine de Notre-Dame de Bondeville, près de Rouen. En effet, celle-ci produit des spécialités dont le marché recouvre celui d’Aventis. Tant la commission européenne que les autorités américaines de la concurrence crient à l’abus de position dominante. Quant aux travailleurs de ce qui constituait un site d’avenir, ils attendent dans l’angoisse un repreneur. Celui-ci devra y mettre les moyens. Le Larixtra, un nouveau médicament, a besoin de nombreux essais cliniques pour élargir sa gamme d’utilisations thérapeutiques.
L’exigence d’un pôle public de la santé est plus que jamais d’actualité. C’est la condition d’une politique guidée par l’efficacité thérapeutique et le souci de ceux qui souffrent le plus. Sanofi fut créé par Elf. Aventis est issu de Rhône-Poulenc.
Aucun Gouvernement français n’a vraiment tenté de mettre ces groupes en synergie quant ils étaient publics.

Élaborer des médicaments
« vendables »

Chacun constate que la productivité de la recherche est en baisse. Les spécialistes invoquent pour cela des raisons techniques. L’élaboration chimique trouverait ses limites. Les applications industrielles des progrès en génétique se font attendre. Mais, en recherche appliquée, qu’on ne trouve que ce qu’on cherche et seules les maladies de riches mobilisent les laboratoires privés. Ce sont celles liées au vieillissement, à la dépression, aux excès alimentaires…. Les choix de recherche des laboratoires ne sont pas guidés par des objectifs de santé publique. Ils ont pour but d’élaborer des médicaments « vendables » sur un marché solvable. D’où des actions de communication intenses et insidieuses… On prône le traitement des troubles psychologiques par la seule chimie. Dans le même temps, on néglige ce qui n’est pas rentable. C’est par exemple le cas de nombreuses maladies infectieuses tropicales. On sait que l’Afrique est quantité négligeable sur le marché du médicament. Mais certains malades des pays riches doivent aussi compter sur la charité publique. Ainsi, un rapport officiel1 constate que la fameuse muscoviscidose est négligée des laboratoires. C’est bien cette affection qui fait, chaque automne, couler tant de larmes cathodiques et d’argent public pour le Téléthon. On se souvient que Sanofi s’est payé des pages de pub pour vanter le projet de fusion avec Aventis. Ils ont osé y faire figurer un enfant sensé être malade !
L’image « marketing » des laboratoires pharmaceutiques serait pire que celle des fabricants de tabac. Ce n’est pas que les Dehercq, Landau et autres soient particulièrement cynique et sadiques. Leurs frais de recherche sont de l’ordre de 15 % des recettes commerciales. Il faut les amortir pour maintenir la rentabilité. D’où leur exigence de prix élevés intégrant le plus longtemps possible la rémunération des brevets.
La réponse capitaliste est une tendance accrue au monopole assorti d’une crispation sur les questions de propriété intellectuelle. La nature de l’activité la rend particulièrement inhumaine. Mais le phénomène touche la plupart des industries, surtout dans les secteurs dits « de pointe ».

Olivier Rubens

1 Moreau/Rémont Weimann L’industrie pharamceutique en mutation Documentation Française 2002. Nous leur devons une grande part des informations du présent article.