debout les damnés de la terre |
Le Manifeste - N° 5 - Avril 2004
Prisonniers :
2 poids, 2 mesures
En janvier 1989 et juin 1994, au terme de plusieurs procès
émaillés d’incidents, Jean-Marc Rouillan, Nathalie Ménigon, Joëlle Aubron et
Georges Cipriani, les quatre dirigeants dits « historiques » de la branche
française d’Action directe, étaient définitivement condamnés à la réclusion
criminelle à perpétuité, assortie d’une peine de sûreté de dix-huit ans. Chefs
d’inculpation : l’assassinat du PDG de la Régie Renault Georges Besse (novembre
1986), du général René Audran, directeur des relations internationales du
ministère de la défense (janvier 1985), tentatives d’assassinat sur les
personnes du contrôleur général des armées Henri Blandin (juin 1985) et du
vice-président du Conseil national du patronat français (CNPF) Guy Brana (avril
1986), enfin attentats contre les locaux d’Interpol et ceux de l’Union de
l’Europe occidentale (mai 1986).
La France, bien qu’elle s’en défende a ses prisonniers politiques. Depuis
dix-sept ans, ils sont en prison dans des conditions d’isolement
particulièrement difficiles. L’État s’acharne sur eux et a mis en place un
ensemble de mesures « visant à les détruire, et qui s’apparente à un processus
planifié de destruction physique et mentale », selon leur comité de soutien.
Plusieurs d’entre eux sont gravement malades. Ils ont quasiment fait leur temps
incompressible. Ils doivent être libérés quelque soit l’opinion que l’on puisse
avoir sur leurs actions passées.
Malgré notre désaccord avec la stratégie d’Action directe, nous publions cet
article de Régis Schleicher, enfermé depuis 20 ans.
Patricia Latour
Neuf années pour qu’Oberg1
retourne chez les siens ; une rafale de mitrailleuse aux FTP du Mont Valérien.
Trois années médicalisées d’un Papon « miraculé » ; trois AVC2
d’une Nathalie exténuée.
À quoi cela servirait-il d’égrener plus longuement la litanie des disparités ? À
démontrer lumineusement que pour un révolutionnaire, il est difficile d’être
agréé par le monde judiciaire ? Comme s’il n’était pas notoire que dans le cas
des « subversifs » c’est l’élimination que l’on recherche. Pénale, radicale,
c’est selon, en fonction de la phase, de l’urgence du moment et de la nécessité
plus ou moins impérieuse qu’il y a de « traiter » l’opposition résolument
contre. « Desaparición », lois spéciales, enterrement sous une charge de béton
carcéral, l’important demeure que sédition et séditieux soient gommés du paysage
politique et social.
« On » concède à chacun(e) le droit d’être sans-abri, sans-papiers, femme
harcelée, immigré, contrôlé, prolétaire aliéné, squatteur expulsé, pourvu qu’il
(elle) le soit dans le silence et le demeure. Surtout ne pas commencer à se
rebeller contre l’exploitation, ni à se révolter contre la misère ou à
s’insurger contre la guerre, « on » viendrait vous « persuader » que ce ne sont
pas là des manières… Les tyrans ne manquant pas de force de persuasion, il
appartient à chacun (e) de savoir jusqu’où il (elle) a envie de faire vivre ses
aspirations. Parfois, ce sont les circonstances qui nous propulsent à ce qui
devient notre place dans la lutte ; à d’autres moments, nous choisissons de nous
positionner : non pas du bon côté de la barrière, là où on fait carrière ; mais
du bon côté des choses, celui où l’on s’oppose. Certaines options ont un prix :
les ennuis souvent, la prison parfois, ou pire…
Est-ce à dire qu’il ne faut pas lutter ? « On » s’efforce d’en persuader « la
France d’en bas », comme « on » l’appelle. À coup de strass, de pacotille et
d’une bonne dose de propagande. « Pour enchaîner les peuples, on commence par
les endormir »…
L’autre facette de cette « pédagogie » consiste à nous exhiber nous, prisonniers
d’Action directe, en trophée du sécuritarisme exultant. « On » promène de-ci
de-là nos dépouilles sépulturo-carcérales comme les reliques d’un espoir auquel
il ne faut surtout pas croire. Notre maintien en détention n’a d’autre vocation
que dissuasion, « on » distille la peur à la manière de ce que Thiers signifiait
aux fédérés de la Commune : « l’expiation sera complète ! »
Blanqui, sublime, lui rétorqua : « Ni Dieu ni maître ! »
Régis Schleicher
Clairvaux, le 15 mars 2004
1 Karl Albrecht Oberg : général SS, surnommé le Boucher de Paris,
spécialiste de la traque des Juifs et des Résistants, en poste lors de la rafle
du Vel d’Hiv’, livré aux Français et condamné à mort en 1954… libéré en 1963 !
2 Accidents vasculaires cérébraux