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Le Manifeste - N° 5 - Avril 2004
Agriculture : socialisation 
croissante...
PAC libérale
C’est peut-être la première fois, dans l’histoire de la Politique Agricole Commune (PAC) vieille de près de cinquante ans, qu’une réforme prise dans sa globalité, subit aussi fortement les critiques des organisations professionnelles agricoles et des syndicats de salariés. Les critiques et les luttes paysannes et ouvrières sont diverses, mais tout le monde y reconnaît la marque du libéralisme et les conséquences dramatiques pour l’agriculture française. Pour les uns il faudrait s’adapter à la nouvelle donne européenne, pour d’autres réformer la PAC, certains dénonçant avec virulence une « renationalisation » rampante. N’y aurait-il pas d’autre alternative que la PAC ? Aurait-elle été la politique réussie mise en œuvre par l’Europe ?
Les objectifs du Traité de Rome, cinquante ans plus tard, ne sont que partiellement atteints et à quel prix. Si l’autosuffisance alimentaire de l’Europe est globalement une réalité, la faim réapparaît en France, 1 millions d’enfants vivent sous le seuil de pauvreté, des secteurs stratégiques sont sous dépendance américaine, notamment les oléagineux pour l’alimentation animale, résultat des compromis entre intérêts capitalistes contradictoires au sein de l’Union européenne (UE). Cette autosuffisance a été possible avec la préférence communautaire, mécanisme institutionnalisant des solidarités entre les pays de l’UE se protégeant de la concurrence extérieure et assurant leur approvisionnement.
Diminution
de la population agricole
L’objectif de la parité de revenu entre les agriculteurs et 
les autres catégories socioprofessionnelles n’est toujours pas atteint pour une 
très grande majorité d’agriculteurs. Mais les gains de productivité importants 
ont surtout été pillé par le patronat. Si dans les « Trente Glorieuses », la 
modernisation de l’agriculture a permis l’accumulation du capital dans le reste 
de l’économie, elle a aussi facilité l’émergence d’une industrie agroalimentaire 
(IAA), la standardisation des produits et la grande distribution. Le secteur 
agroalimentaire ayant atteint sa maturité, le budget alimentaire des ménages ne 
représentant plus que 13 %, les gains de productivité agricole viennent grossir 
les profits des groupes (IAA et distribution) : entre 1990 et 2002, les prix 
payés aux agriculteurs ont diminué de 10 %, tandis que les prix alimentaires à 
la consommation ont augmenté de 20 % (INSEE).
Le prix à payer a été lourd. La diminution de la population active agricole a 
été considérable : 20 millions d’actifs ont disparu dans l’UE entre 1950 et 
1990, dont 4 millions en France. Il y avait encore 1,017 million d’exploitations 
en France en 1988, il n’en reste plus que 664 000 en 2000, dont 400 000 assurent 
95 % du potentiel agricole.
La réforme de la PAC de juin 2003 contient tous les ingrédients d’une politique 
européenne basée sur la libéralisation des marchés capitalistes : découplage des 
aides de la production, disparition programmée des organisations communes de 
marché remplacées par des mécanismes de gestion de crises (généralisation de ce 
qui se passe dans la volaille et le porc), rapprochement des prix européens et 
des cours mondiaux. Cet accord, qui répond pour une large part aux exigences des 
groupes agroalimentaires, engage une restructuration sans précédent des 
agricultures européennes : nouvelle phase de concentration des exploitations, 
pression sur les prix des terres agricoles avec la marchandisation des droits à 
primes, instabilité des marchés et des prix et multiplication des crises 
agricoles, mise en concurrence des régions et des productions, risques de 
délocalisation et de désertification.
Colonisation
des pays d’Europe
Cette réforme s’est discutée dans le contexte de 
l’élargissement aux dix nouveaux membres qui, dans les faits va se traduire par 
une « colonisation » des pays d’Europe centrale et orientale (PECO) que ceux-ci 
payeront au prix fort : la part de la population active agricole dans la 
population active totale des dix atteint 13,3 % contre 4,2 % pour les Quinze, 
des millions de paysans et de salariés vont se retrouver au chômage parce qu’il 
n’y aura pas une seconde « Trente Glorieuses » pour absorber cet afflux de main 
d’œuvre.
Des questions lourdes sont posées sur l’avenir de la PAC : Quelle légitimité des 
aides lorsqu’il n’y a plus obligation de produire pour en bénéficier ? Quelle 
pérennité du financement alors que 6 mois après la signature de l’accord de juin 
2003 qui entérinait un niveau de budget inchangé jusqu’en 2013, la Commission 
parle de réduire la part de l’agriculture et du développement rural à 38 % en 
2013 contre 48 % en 2006. Ces questions, préfigurant un éclatement de la PAC, ne 
posent-elles pas celle de l’avenir de l’UE, de sa dilution en une zone de 
libre-échange qu’une Constitution pour une Europe supranationale viendrait 
parachever ? 
Faut-il une nouvelle réforme de la PAC ? Ou faut-il au contraire envisager des 
politiques agricoles nationales pour les pays de l’UE qui répondent aux besoins 
des populations en quantité et en qualité, assurant la souveraineté alimentaire 
du pays s’appuyant sur ses capacités productives, revenant à la notion de 
préférence communautaire et donc à des prix garantis à l’intérieur de l’UE et 
développant des coopérations mutuellement avantageuses avec les pays tiers. Cela 
implique de s’affranchir des logiques capitalistes, mais aussi de réfléchir 
d’autres organisations de la production agricole et de tourner le dos à toute 
tentation impérialiste et hégémonique.
Perspectives
révolutionnaires
Si la France est la première bénéficiaire de la PAC (elle est 
aussi la 1ère puissance agricole), elle est contributrice net au budget européen 
(PAC et fonds structurels). Elle a donc les moyens de financer sa propre 
politique agricole. En terme de politique, la PAC des années 1960 n’était rien 
d’autre que la continuation des politiques qui existaient : prix garantis, 
quotas, quantums, aides directes…, et résultat des luttes populaires et 
sociales. 
Les évolutions économiques sont marquées par une socialisation croissante des 
activités productives agricoles : l’importance du financement public (en 
moyenne, la part des aides directes dans la valeur de la production et dans le 
revenu agricole s’élève à 80 %), l’exonération des cotisations patronales 
(concerne plus de 80 % des salariés), les prêts bonifiés, les outils publics de 
contrôle, de planification et de régulation des marchés (offices). Cette 
socialisation croissante crée objectivement les conditions d’une rupture 
fondamentale permettant l’appropriation collective de la terre, des moyens de 
production et de financement, construite sur la base de la coopération entre 
producteurs agricoles, travailleurs agricoles salariés et populations.
Des exigences nouvelles émergent que nous devons tenter de traduire dans chaque 
lutte pour ouvrir des perspectives révolutionnaires.
Jean-Luc Bindel