debout les damnés de la terre |
Le Manifeste - N° 5 - Avril 2004
Logement : rentabilité financière
Depuis quelques semaines nos journaux commentent
abondamment les statistiques et l’évaluation des besoins en logements. Chacun a
publié les siens, le gouvernement, mais aussi l’Insee, le Conseil économique et
social, la Fondation Abbé Pierre, le Collectif Alerte, etc.
Et c’est le choc !
Le nouveau coup de gueule de l’abbé Pierre est comparé, non
sans raison, à celui de l’hiver 1954.
Comment en est-on arrivé là !
À la fin des années 70, le gouvernement de l’époque nous démontrait, chiffres à
l’appui, que dorénavant on avait rattrapé le retard, que le problème du logement
n’était plus quantitatif mais qualitatif, et qu’il s’agissait de faire de chaque
Français le propriétaire de son logement.
Pour atteindre cet objectif, l’aide à la construction a été remplacée par l’aide
à la personne. Vingt ans après, le résultat de cette stratégie, jamais vraiment
remise en cause depuis, c’est 3 millions de mal logés, plus 2 millions qui
manquent d’un élément essentiel de confort. Le retard serait tel qu’il faudrait
construire dorénavant 120 000 logements sociaux par an pendant 10 ans pour le
rattraper. En somme, durant ces 20 ans, on a perdu à la fois sur la quantité et
sur la qualité.
Pourtant, il ne s’est rien passé d’autre pour le logement que ce qui s’est passé
pour les services publics, pour les choix industriels, commerciaux, touristiques
ou pour l’agriculture. Il ne s’est rien passé d’autre en France qu’en Europe.
Paris demeure une des capitales les moins chères d’Europe en matière de
logement, et ce n’est pas fait pour nous rassurer quand on connaît le prix des
logements à Paris.
Rentabilité financière d’abord
Il ne s’est rien passé d’autre en France que dans le monde.
Le dernier rapport du programme habitat de l’ONU indique : « Si rien n’est
fait d’ici 2050, il y aura 3,5 milliards d’hommes et de femmes dans les
bidonvilles ».
En matière d’habitat comme dans les autres domaines, là comme ailleurs, le dogme
demeure d’aller chercher la demande solvable dans un marché libre où la
concurrence est libre. Les non solvables au regard du prix du marché étant selon
l’expression anglaise : « Out ».
De spéculation foncière en taux d’intérêt des emprunts, avant le premier coup de
pioche il y a déjà 50 % du prix final de la construction dépensé.
Le moins disant se paie immédiatement en conditions de travail et de
rémunérations aggravées pour les salariés de la construction et, à terme, par un
niveau de malfaçon tellement important qu’il a fait exploser la garantie
décennale. L’Insee chiffre le coût des malfaçons au financement de 100 000
emplois, le travail non déclaré a atteint des proportions qui ne sont plus
marginales. Ensuite, atteindre la demande solvable et même confortablement
rémunératrice, c’est construire pour le haut du panier, pour ceux dont la
rémunération est environ 3 à 4 fois le Smic, au moins.
On ne peut servir deux maîtres, répondre aux besoins sociaux pour tous et
rechercher la meilleure rentabilité financière pour chaque activité.
Le gouvernement a choisi, pour le logement comme pour les autres questions, la
rentabilité financière. Les mesures prises, diminution du budget de l’État de
8 %, défiscalisation des opérations, programmes démolition/reconstruction, vont
dans ce sens. Les financements n’étant pas attribués après réflexion sur le
meilleur choix mais comme une contrainte par laquelle il faut passer. Les
collectifs et les organisations qui s’efforcent d’agir et d’alerter l’opinion
ont émis quelques idées intéressantes, notamment celle d’un droit au logement
opposable, ou encore celle d’un service public du logement.
Aussi intéressantes que soient ces idées, elles ne peuvent suffire seules. Nous
avons un droit à la retraite à 60 ans opposable, il est de plus en plus
subordonné à l’équilibre du régime, c’est également ce qui est prévu pour le
droit à la santé. La Constitution de la République proclame le droit à l’emploi
pour chaque citoyen, cela n’est pas très utile aux chômeurs. Si le service
public qui est revendiqué est comme les autres soumis à la concurrence et à la
rentabilité financière, les mal logés risquent de le rester longtemps.
La bataille pour le droit au logement, comme le droit à l’emploi ou le droit à
l’éducation, etc. suppose d’agir en même temps pour renverser les critères de
Maastricht, de l’organisation mondiale du commerce, et de mettre en échec la
négociation sur les services (Agcs), non de faire avec, ou de vouloir les
aménager. Sinon le bilan 2024 risque d’être encore plus triste, plus inquiétant
et plus révoltant que celui de 2004.
Robert Brun
Conseiller auprès de l’Union internationale
des Travailleurs et du Bois
Ancien Secrétaire de la Fédération
de la construction CGT