debout les damnés de la terre

Le Manifeste - N° 5 - Avril 2004

 

Entre logement social et logement indigne
Cher loyer

La fracture sociale s’inscrit dans le territoire. Il en a toujours été ainsi, que ce soit les « fortifs », les bidonvilles, les banlieues.

C’est le cas en Seine-Saint-Denis qui compte 36 % de logements sociaux sur son territoire (deux fois plus que la moyenne nationale). Une pauvreté et une insécurité sociale qui s’étendent dans les cités. Et qui gagnent les classes moyennes dont le pouvoir d’achat ne cesse de diminuer.
Dans le parc privé, certains locataires consacrent plus de 50 % de leurs revenus au règlement du loyer, et dans le parc social jusqu’à 33 % du revenu (et les APL sont revues à la baisse). S’ajoutent 3 146 500 personnes mal logées dont la majeure partie survit dans l’habitat dit « indécent » (enquête Insee).

Un million de logements
dépourvus de confort

Depuis quelques années, si la pauvreté n’épargne personne, elle touche de plein fouet les personnes dont les revenus sont les moins élevés. Pour l’Insee, un ménage avec un revenu annuel inférieur à 7 300 euros est classé comme à bas revenu. Ces ménages vivent en majorité dans le parc social. Ceux qui en avaient la possibilité ont préféré quitter leur logement HLM, les sur-loyers ayant constitué un facteur décisif dans ce départ. Autant pour la mixité sociale. Dans ces zones urbaines que sont les cités du parc HLM, le taux de chômage est le plus élevé, 25 % en moyenne, et jusqu’à 40 % chez les 15-25 ans, entraînant des difficultés énormes pour ces familles qui ne sont plus en mesure de payer un loyer, qui accumulent les dettes vis-à-vis des offices, qui sont menacées d’expulsion à terme. Et il est impossible aux jeunes ménages d’avoir accès à un logement.
Ces familles et ces jeunes se tournent alors vers le « logement social de fait », parc privé qualifié d’« indigne, insalubre, indécent », où tous les problèmes s’accumulent : insalubrité, peinture au plomb qui s’effrite, humidité, dégâts des eaux, etc. Un habitat que toutes les communes voudraient résorber, mais qui n’y arrivent pas. Ce type d’habitat abrite des ménages qui pourraient loger dans le parc social traditionnel (les loyers y sont chers, les bailleurs souvent peu scrupuleux), mais le « taux d’effort » pour payer les loyers a été jugé trop risqué par les offices pour qu’ils obtiennent le logement. Il s’agit généralement de familles de plusieurs enfants. L’Insee recense dans ce parc plus d’un million de logements dépourvus du confort de base ; 300 000 d’entre eux ne disposent d’aucune installation sanitaire.

Loin des besoins
exprimés

Et puis il y a tous ceux qui n’ont pas même accès à cet habitat, 86 500 Sdf et 200 000 personnes, jeunes, chômeurs, de plus en plus de familles, retraités, qui dorment dans des cages d’escalier, des camions, des voitures, des caves, qui vont d’hébergements d’urgence en hébergements précaires, qui logent en chambre d’hôtel, chez des parents.
Et puis, il y a plusieurs années que des bidonvilles ont fait leur réapparition en France.
Alors, le plan de construction de logements sociaux et de réhabilitation lancé par le ministre délégué à la Ville, Jean-Louis Borloo va-t-il résoudre tous ces problèmes ? Un plan ambitieux qui suscite pas mal d’interrogations et de commentaires. En premier lieu, ce plan viendrait compléter la loi de solidarité et de renouvellement urbain de décembre 2000 imposant la construction de 20 % de logements sociaux dans les communes situées au sein d’agglomérations de plus de 50 000 habitants, moyennant une pénalisation des communes qui ne se conformeraient pas à la loi : elle n’est jamais appliquée. Le ministre entend rénover 165 quartiers en grande difficulté avec démolition de 200 000 logements HLM très dégradés, réhabilitation et construction de 400 000 logements. Mais où vont être logés les habitants des logements qui vont être démolis ? Et quels sont les moyens budgétaires qui seront mis à contribution alors même que le gouvernement annonce une réduction de 8 % du budget sur le logement, budget déjà insuffisant ?
Et on est loin des besoins exprimés. 300 000 demandes pour l’Ile-de-France seulement !
Et qui des Sdf, précaires, Cdd et autres demandeurs d’emploi contraints d’accepter des contrats de misère, employés à temps partiels, pourront payer les loyers qui seront demandés ? Certes, l’habitat social est à renouveler, les moyens et les offres manquent. Mais que vont devenir tous ceux qui ne peuvent plus payer un loyer ? Alors que l’accès au logement est étroitement lié à l’accès au plein emploi et à la lutte contre la précarité, il ne peut y avoir de véritable politique du logement au regard des nouvelles orientations de politique sociale et d’emploi du gouvernement : réduction du temps d’indemnisation du chômage, limitation de l’allocation spécifique de solidarité, diminution des emplois aidés, nouvelle loi sur le Rmi et le Rma. Un peu plus de 4 millions de personnes en France vivent en dessous du seuil de pauvreté.
Attention aux discours de classe concernant l’emploi, le logement, les retraites, la sécurité sociale, la santé... Les riches n’ont jamais été aussi riches. Ni aussi revanchards. Et si les travailleurs ont acquis des droits dans un rapport de force permanent, ces droits n’ont jamais été « donnés », alloués, ou cédés gracieusement. L’accès au logement est un de ces droits, fondamental, comme le droit au travail. Et les expulsions sont des crimes, comme les licenciements quand les sociétés se délocalisent, par exemple, pour s’installer là où elles vont réaliser encore davantage de profits.
L’étendue de la crise sociale est telle qu’aujourd’hui le logement devrait dépendre d’un service public alors que l’État et les collectivités territoriales ont tendance à se défausser des problèmes, sous prétexte de « rentabilité », en bradant les offices au privé.
Question : pourquoi le logement social devrait-il être rentable ?

Marie-Catherine Andreani