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Le Manifeste - N° 4 - Mars 2004
La parole à la résistance irakienne
En janvier, le Comité contre la guerre en Irak présidé par Subhi Toma organisait une rencontre avec Abel Jabbar Al Koubeissi, président de l’Alliance patriotique irakienne qui participe à la Résistance contre l’occupant en Irak. Le Manifeste l’a rencontré pour avoir des nouvelles de la Résistance qu’aucun média ne donne.
Quelle est la situation aujourd’hui en Irak ?
Je peux vous parler de ce que j’ai vu moi-même. J’ai passé trois mois et demi à
Bagdad, à Kirkouk, Falujah et d’autres villes d’Irak.
Aujourd’hui Bagdad est la ville des fils barbelés, des murs de parpaing, des
tanks et des cadavres. Les soldats ennemis se cachent derrière des murs de
parpaings ou des fils barbelés et entourent leurs bases d’eau. Il s’emprisonnent
eux-mêmes dans les blindés. La question est : qui emprisonne qui ?
Leur devise est « tuer avant d’être tué ». C’est de là que vient le massacre de
la population. J’ai assisté à Bagdad à une opération où pour un appartement, ils
avaient déplacé 80 tanks, 120 véhicules blindés, 150 véhicules de soldats, 30
hélicoptères. Tout cela pour un seul appartement. Ils ont fermé le quartier de 1
h à 5 h 30 du matin, effrayé les habitants uniquement pour arrêter un homme et
ses quatre enfants. Ils ont peur.
56 militaires se seraient suicidés, plus de 1 700 souffrent de dépression
nerveuse et sont retournés aux USA, 3 150 ont déserté. Certains soldats fuient
leur poste et se dispersent en Irak pour ne pas être exposés. Ils sont
poursuivis par la police militaire qui tente de les retrouver. Les conséquences
de cette hystérie, c’est que des familles entières d’Irakiens sont assassinées.
Il y a quelques temps, un soldat américain a perdu la tête ; il a tué 7
prisonniers et en a blessé 22 autres. À Bagdad, les services de santé reçoivent
en moyenne 40 à 50 personnes tuées par armes chaque jour. Plus de la moitié sont
tués à des barrages américains. Depuis deux mois, on interdit au service de
médecine d’enregistrer la nature de l’arme qui a tué.
Ils ne tuent pas seulement des hommes, ils s’acharnent sur les plantes et les
pierres. Des palmiers et des pommiers sont rasés parce que les résistants se
cacheraient derrière. De Bagdad à l’aéroport, il n’y a plus un seul arbre. Dans
certaines villes, tous les arbres ont été arrachés et rendent la région
désertique. Des milliers de maisons sont détruites pour des actions de punition
collective. 1 120 résidences ont été dynamitées ou bombardées dans plusieurs
villes.
Voilà l’héritage des envahisseurs, des Américains mais aussi de leurs alliés
comme les troupes de Talabani. 182 000 civils ont été arrêtés depuis le début de
l’occupation. La plus grande partie ont été relâchés au bout de quatre jours ou
de plusieurs mois. 42 488 personnes sont encore emprisonnées dans quatre lieux
de détention. Dans un des camps, 543 femmes et 917 enfants sont détenus. 512
personnes ont été tuées sans jugement souvent après de terribles tortures. 920
personnes ont perdu les moyens de travailler ou de se déplacer après les
traitements infligés dans les centres de détention. 2 000 femmes ont été violées
par des soldats américains, anglais, italiens ou polonais. 550 enfants ont subi
des abus sexuels dont 230 de la part des Américains, 15 des Anglais.
Les vols équivalent à 5 milliards de dinars et près de 17o000 pièces d’or. Les
biens volés à l’État sont de l’ordre de 22 milliards de dollars. Les forces
d’occupation ont pris possession de biens pour 35 milliards de dollars, 1 350
pièces de musée ont été volées. Ils ont essayé de détruire le système de santé
et d’éducation.
Ils affirment qu’il ont instauré la liberté de la presse mais des journaux
politiques ont été interdits, les journaux qui sont publiés ne disent rien. 75 %
de la population est au chômage. Les prix montent de manière catastrophique. La
bonbonne de gaz était à 175 dinars en mars dernier, elle est aujourd’hui
difficile à trouver et coûte 9 000 dinars. Le litre d’essence coûtait 20 dinars,
il est à 750.
Comment la Résistance se manifeste-t-elle ?
Cette guerre restera comme une action criminelle illégitime et contre le droit
international. Il est normal que le peuple irakien, comme tous les peuples,
réagisse contre l’agression et résiste à l’occupation de son pays. Une chose est
sûre : les Américains ne peuvent pas coloniser notre volonté. On ne peut pas
bâtir un nid d’oiseau dans un tank ni poser cet oiseau sur la pointe d’un fusil.
Le nombre d’actes de résistance est de 45 à 60 par jour. La Résistance est
devenue une forme de culture générale de la population et elle évolue dans les
formes qu’elle prend. La proportion de jeunes entre 18 et 25 ans est très
importante. Le vendeur de tomates se transforme en résistant la nuit et il est
très difficile pour les forces d’occupation d’en venir à bout. Nous estimons que
70 000 à 100 000 Irakiens sont engagés dans la Résis-tance. La Résistance
possède des milliers d’uniformes, de mitraillettes américaines que nous
utilisons contre les américains. Le sud n’est pas aussi enflammé que le nord
mais pas un jour ne passe sans qu’il y ait une opération. Dans le sud, 3 000
soldats koweïtiens sèment la terreur. Des milliers d’Irakiens ont fui vers le
nord. Mais le peuple créé de nouveaux moyens de résistance.
J’ai rencontré des personnes dans de nombreuses villes, l’unanimité se fait
contre l’occupation en dehors de quelques responsables religieux. La société
irakienne n’est pas communautariste. On n’est pas sunnite ou chiite. Des
contacts se font entre les forces de résistance et les forces démocratiques.
Certaines batailles durent entre six et huit heures. C’est comme si la guerre
était revenue. Le 20 octobre dernier, dans la ville de Bakra, à la suite d’une
bataille entre les forces d’occupation et la Résistance, 11 blindés ont été
détruits, 17 soldats sont morts et la Résistance a arrêté les unités de police
que l’occupation avait constituées. Dans une autre ville, j’ai vu 17 véhicules
en feu. À Fallujah, pas un jour ne passe sans qu’il y ait deux ou trois
opérations. Les occupants interdisent les rassemblements dans toutes les villes.
Il existe énormément d’actes de résistance dont la presse ne rend absolument pas
compte. On raconte aussi que les résistants ne seraient pas Irakiens, qu’ils
seraient infiltrés. C’est totalement faux. À Fallujah, tous les résistants sont
Irakiens. Notre but est d’affaiblir l’occupant. Ce que je veux moi, comme le
peuple irakien, c’est chasser l’occupant de ma terre.
Quel rôle joue le parti Baas dans la Résistance ? Quelles sont les forces qui
participent à la Résistance ? Quel rôle joue le Parti communiste irakien ?
Comment a été reçue l’arrestation de Saddam Hussein ?
Le Baas est un des éléments fondateur de la Résistance. Dans la phase actuelle,
c’est la première force organisée. Il existe de nombreux courants qui rejoignent
la Résistance, leur nombre augmente toujours plus. Il y a des islamistes comme
des nassériens et de nombreux partis politiques.
Le Parti communiste officiel collabore et danse avec Bremer mais la direction
générale du PCI a scissionné et s’oppose à l’occupation comme les Cadres du PC
et ceux-là sont partie prenante du dialogue instauré dans la Résistance.
L’arrestation de Saddam Hussein a provoqué beaucoup d’amertume dans la
population. Nous ne voulons rien qui puisse réjouir les Américains. Ce qui peut
leur faire mal nous met en joie. De façon indirecte, les Américains vont
regretter de l’avoir arrêté. Les bassistes seront d’autant plus enclins à se
rapprocher des autres forces de la Résistance, les islamistes aussi. D’une
certain façon, cette arrestation peut aider la Résistance à s’unir.
Justement, comment peut se réaliser l’unité de la Résistance ? Existe-il,
comme ce fut le cas pendant la seconde guerre mondiale en France, un programme
de la Résistance pour l’après occupation ?
Actuellement, l’unification de la Résistance est une de nos priorités avec la
création d’un front politique contre l’occupation. Il nous a fallu du temps mais
les conditions historiques ont agi sur nous. La Résistance a un programme
stratégique affiché. Premièrement, il faut renvoyer les occupants chez eux, nous
ne voulons pas seulement la fin de l’occupation, nous voulons qu’ils s’en
aillent. Là-dessus, pas d’ambiguïté. Ensuite, nous voulons la constitution d’un
gouvernement provisoire unifié avec toutes les tendances représentées. Nous
voulons une constitution garantissant les opinions divergentes, interdisant
toute discrimination et assurant la citoyenneté. Les occupants affirment que
s’ils se retirent il y aura une guerre civile en Irak. C’est un mensonge. La
guerre civile est aujourd’hui portée par les occupants. L’important est qu’une
force internationale soit présente. Qu’elle ne soit ni américaine, ni anglaise,
ni d’aucune nationalité occupante. Sachez que si les occupants se retirent, la
Résistance maintiendra l’ordre en 2 heures. On ne peut vraiment pas dire que les
occupants maintiennent l’ordre aujourd’hui. Ils doivent accepter notre droit à
l’autodétermination. Nous combattrons jusqu’à ce que notre patrie soit libérée,
c’est notre droit, notre devoir.
Propos recueillis
par Patricia Latour