le monde va changer de base

Le Manifeste - N° 4 - Mars 2004
Sénat

 

"L'Europe de l'Est n'existe plus !"
Un touchant consensus

Le 1er mai prochain, dix pays vont rejoindre l’Union européenne. Les réelles raisons de l’élargissement qui semble faire le consensus ne sont certainement pas celles qui sont mises en avant par ceux qui disent oui.

Dix pays devraient rejoindre l’Union européenne le 1er mai prochain. Si le traité d’adhésion avait été soumis, en France, à référendum, tout indique que le non l’aurait largement emporté. Le débat parlementaire a, en revanche, donné lieu à un touchant consensus sur l’argument sans réplique ainsi résumé par Jean-Marc Ayrault, président du groupe socialiste : « On voit mal comment on pourrait s’opposer à l’élargissement ». De fait, tant à l’Assemblée (25 novembre) qu’au Sénat (10 décembre), aucun groupe politique n’a imaginé s’opposer à la ratification. Pour sa part, le ministre des Affaires étrangères précisera : « Nous ne pouvions laisser les pays de l’Europe orientale et centrale à l’écart de la construction européenne après tant d’années passées sous le joug des régimes communistes ». Ce que le chef du gouvernement résumera plus tard d’un raccourci sans ambiguïté : « L’Europe de l’Est n’existe plus ».

Un impératif
stratégique

Hervé de Charrette (UDF) indiquera pour sa part que « l’Europe aura dépensé près de 20 milliards d’euros entre 1990 et 2003 (pour l’élargissement). Par ailleurs, à Berlin, en décembre 1999, le Conseil a fixé à 42,5 milliards l’enveloppe financière destinée aux Dix pour la période 2004-2006. (…) Le coût net de l’élargissement pour les trois prochaines années s’élèverait ainsi à 14,8 milliards d’euros (…) La part française est estimée à 17 % ». Compte tenu de ce surcoût, la France va devenir le deuxième contributeur (16 milliards d’euros) après l’Allemagne.
Mais que pèsent ces menus désagréments au regard du véritable enjeu politique : « L’élargissement scelle la fin des tentations impériales de la Russie en Europe, la mort du grand schisme communiste et l’unification du continent européen […] »... Quant au porte-parole du groupe communiste, Jean-Claude Lefort, il indiquera : « à la question politique majeure qui est posée, celle de l’entrée de dix nouveaux pays dans l’espace européen, notre réponse est claire : nous disons oui ! ». Une approbation saluée par le rapporteur (UMP) Pierre Lequillier d’un sonore « Très bien ! ».
S’il faut trouver les réelles raisons de l’élargissement, c’est plutôt du côté de Günter Verheugen – commissaire européen à l’élargissement, un proche de Gerhard Schröder – qu’il faut les chercher. Dans une texte publié par Le Monde1, il s’exprimait ainsi : « Offrons cette chance à nos frères d’Europe (de l’Est). Et surtout, sachons saisir la nôtre ! » Rappelons que l’Allemagne représente 27 % des échanges avec l’Europe orientale (devant l’Italie, 9 %, et la France, 6 %). Il y a trois ans déjà, le chancelier allemand déclarait à l’issue du sommet de Nice : « nous avons atteint notre objectif stratégique : rendre possible l’élargissement à l’Est ». Le Commissaire européen précise aujourd’hui : l’élargissement relève d’un « impératif stratégique pour notre sécurité et notre compétitivité ». Il évoque ainsi le « flanc oriental » – les mots ne sont pas neutres – entre la mer Baltique et la mer Noire, de même qu’un « espace économiquement dynamique ouvert à nos entreprises et à leurs produits ».
Verheugen revient sur le processus entamé depuis de longues années, visant à mettre en œuvre « les réformes indispensables » dans chacun de ces pays. Et rappelle que pour ces peuples, « la facture, sociale et politique, fut souvent douloureuse. En dépit des aléas électoraux générés par des mesures souvent impopulaires, leurs gouvernements maintinrent le cap. Il y a là une abnégation qu’il convient de saluer ». Traduction : les gouvernements de droite et de gauche ont alterné, et tenu bon pour imposer des politiques rejetées par les peuples.
Risques
de délocalisation

Le « succès » est au rendez-vous : « la majeure partie de la législation européenne est d’ores et déjà appliquée » (ce qui éclaire au passage le terme pudique de « négociations »…). Bien sûr, « il reste des efforts à fournir ». Quand on est commissaire européen, on ne se refait pas : « j’ai moi-même envoyé des lettres de mise en garde aux pays concernés ». Avant même d’être membres à part entière, les pays de l’Est se familiarisent déjà avec le tout venant de l’Europe : injonctions, mises en demeure, menaces de sanctions… Sympa.
Verheugen se veut également rassurant en matière d’immigration massive de main d’œuvre à bon marché. Officiellement, pas de danger, donc, pour les (futurs) chômeurs de l’Ouest. C’est tellement sans risque qu’on a tout de même prévu une période de sept ans pendant laquelle chaque pays pourra freiner le libre-établissement des immigrés de l’Est. Au grand dam du patronat qui, lui, veut naturellement accélérer cette « libre-circulation ». Enfin, côté délocalisations, le rapporteur Lequillier précisait : « Certes, le risque de délocalisation existe, compte tenu des disparités des coûts de la main-d’œuvre. Mais […] mieux vaut que les délocalisations futures se produisent dans le respect des règles sociales, environnementales et de concurrence de l’Union qu’en dehors de toute réglementation ».
Dans ces conditions en effet, on se demande bien qui « pourrait être contre l’élargissement »…

Pierre Lévy

1. 26 novembre

Contre l’élargissement

Marie-Claude Beaudeau, sénatrice du Val d’Oise, a été la seule parmi les membres des deux groupes « communistes et républicains » au Parlement à voter contre l’élargissement de la Communauté européenne. Son intervention est disponible sur http://www.senat.fr/senateurs/beaudeau_marie_claude/interventions/101203_UE_elargissement.html. Une intervention que partage Le Manifeste dans ses grandes lignes.