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Le Manifeste - N° 4 - Mars 2004
Economie : inverser le
processus
Le détour
À l’approche des élections cantonales et régionales, le détour par la politique des grands groupes n’est pas inutile. Les « champions » français et les filiales des entreprises étrangères installées en France contribuent en effet à façonner les territoires.
Ce sont 8,5 millions de salariés, 55 % de ceux qui
travaillent dans des entreprises non financières, sont employés dans un groupe
d’entreprises. Ces derniers assurent 58 % des investissements et mobilisent 85 %
des capitaux1. Parmi eux, les grands groupes
emploient 3,4 millions de salariés, produisant 5 fois plus de valeur ajoutée que
les autres et réalisant 4 fois plus d’investissement.
Les groupes pèsent ainsi lourdement dans l’activité des salariés mais aussi,
hélas, dans leur mise à l’écart du marché du travail, avec le chômage et les
différentes formes d’emploi précaire. En ce début d’année les annonces de
suppression d’emplois se succèdent : Nestlé en annonce 1 047, Aventis 1 800, la
SNCF 3 500, France Télécom 14 500 dans le monde dont 8 800 en France,…
Parallèlement, des fleurons industriels comme Péchiney, Rhodia sont menacés de
passer sous contrôle étranger.
Une étude récente de l’Insee, consacrée à « l’internationalisation des
entreprises industrielles et emploi » sur la période 1986-1992, montre dans ce
contexte que les entreprises constamment internationalisées durant cette période
« perdent plus d’emplois ou en créent moins que celles qui ne le sont pas. Ce
sont encore les évolutions internes aux entreprises constamment
internationalisées ».
Véritable débauche
d’acquisitions
Comment en est-on arrivé-là ? C’est la conséquence d’une
certaine mondialisation, dominée par la rentabilité financière. Dans la guerre
économique qui sévit, les multinationales françaises se sont également engagées
dans une course aux acquisitions. Avec les privatisations, à la recherche de
munitions dans cette battue mondiale, elles ont ouvert largement leur capital à
de grands investisseurs internationaux. Nombre d’entre elles sont aujourd’hui
opéables.
À vrai dire, ce n’est pas l’internationalisation des groupes qui est en cause,
c’est la manière dont elle est réalisée. Dans la dernière période, le
capitalisme français s’est livré à une véritable débauche d’acquisitions. Alstom
a acquis la division des turbines à gaz d’ABB, Vivendi rachète Universal,
Seagram, Cap Gemini, Ernst & Young, France Télécom, Orange, Mobilcom, Telekom
Polska.
Mais cette boulimie a eu des effets sérieux. Dans une étude récente2,
l’Insee révèle que « de 1999 à 2001, les grands groupes cotés se sont fortement
endettés » et que cet endettement « est très lié à leurs opérations de
croissance externe, notamment à l’étranger », c’est-à-dire au rachat
d’entreprises et aux prises de participation.
Cette frénésie financière est en grande partie à l’origine des difficultés
actuelles. Les groupes comme Vivendi, France Télécom, Alcatel, … ont acheté à
tour de bras des sociétés concurrentes en les payant au prix fort. Ils ont ainsi
contribué à grossir les marchés financiers comme un soufflé. En même temps
qu’ils faisaient flamber la Bourse, ils « tuaient » la demande et la croissance.
Dès lors, les comptes des groupes ont été pris en tenaille entre, d’un côté, une
baisse des recettes due à l’affaiblissement de la croissance et, de l’autre, une
montée des dépenses, particulièrement des charges financières portées par les
dettes accumulées.
Une authentique
politique régionale
de l’emploi
Avec la chute de la croissance, le poids de ces dettes est
devenu insupportable. C’est ce qui a fait « craquer » France Télécom et Vivendi
d’abord, Alcatel, ensuite, mais aussi Suez et d’autres encore. Voilà pourquoi,
pour redresser leurs comptes, leur rentabilité et réduire leur endettement, les
groupes relancent aujourd’hui leurs efforts pour baisser le coût du travail et
augmenter la productivité, ferment des sites et licencient.
Mais un aspect nouveau dans la crise et la politique des groupes est que le
recul de l’emploi ou sa croissance réduite ne concerne pas que les régions
industrielles traditionnelles. Ainsi, actuellement, c’est l’Ile-de-France,
région française qui dispose du plus haut niveau technologique, qui subit le
plus violemment le recul de la croissance et la progression du chômage. La
région parisienne a fourni les 3/5e des pertes d’emploi de l’ensemble du
territoire. Ce recul est lié à une baisse de 3,1 % des emplois dans l’industrie,
de 1,1 % dans la construction et à la progression la plus faible qui soit dans
le domaine des emplois tertiaires : + 0,3 %. La politique des groupes menace
directement les secteurs les plus avancés de l’économie française.
Une authentique politique régionale de l’emploi ne peut dès lors se contenter de
répondre aux besoins des entreprises. Elle ne ferait ainsi que conforter les
gestions des groupes. Il s’agit d’inverser le processus et de réorienter les
choix patronaux afin de répondre aux besoins des populations, afin de promouvoir
des emplois et des formations de qualité.
Claude Abadie
1. « Images économiques des entreprises et des groupes au 1er
janvier 2002 », Insee Résultats, décembre 2003.
2. Insee, mars 2003 : « Endettement et internationalisation des groupes ».