debout les damnés de la terre |
Le Manifeste - N° 4 - Mars 2004
L'hôpital malade du profit
Le Manifeste a rencontré Christophe Prudhomme, médecin syndicaliste CGT à l’hôpital Avicenne de Bobigny. Il fait le point sur la situation des hôpitaux aujourd’hui.
Les hôpitaux vont mal depuis 20 ans : temps passé aux
urgences, accueil, listes d’attente, suppression des consultations externes. Ils
n’arrivent plus à gérer le quotidien. En fin d’année, il n’y a plus d’argent.
Des lits sont fermés. On n’est plus en capacité d’accepter des hospitalisations
non programmées, accidentés de la route, ou malades qui ont des problèmes de
cœur ou de poumon. Il n’y a plus de place en réanimation. Certains patients
peuvent rester 24 heures aux urgences dans des conditions de sécurité
complètement inappropriées. Il y a des morts indues liées au fait que les gens
ne sont pas hospitalisés au bon endroit, qu’il n’y a pas les lits, qu’il n’y a
pas le personnel pour les surveiller.
Les gens viennent aux urgences quand ils n’en peuvent plus, parce qu’une partie
de la population n’a pas accès aux soins. L’hôpital s’en occupe le jour où ils
sont au bout du rouleau. On voit réapparaître ce qu’on appelle les pathologies
historiques. Les médecins sont d’accès difficile. En Seine-Saint-Denis, le
nombre de généralistes installés rapporté au nombre d’habitants est le plus
faible de toute la France. Il y a davantage de généralistes en Corrèze.
Chaque année, on est déficitaire. Or 80 % du déficit concerne le budget
médicaments. Ici, 50 % des patients sont des cancéreux et des malades du sida.
Ces médicaments coûtent très cher, environ 1 000 euros l’ampoule. Les labos
utilisent la presse pour mettre en avant chaque nouvelle molécule. Dans le même
temps, on nous amuse avec les génériques. Alors qu’en fait, les labos ont obtenu
la liberté de prix sur toutes les nouvelles molécules. Ce ne sont donc pas les
20 centimes d’euros gagnés sur la boîte d’antibiotiques qui permettront
d’éponger le déficit ! Et il n’y a plus de recherche fondamentale publique. Elle
est essentiellement financée par les laboratoires pharmaceutiques.
Une situation
programmée
de longue date
Le libéralisme appliqué à la santé n’avait pas réussi à se
concrétiser parce que la partie de la population dite solvable s’est rendu
compte qu’il valait mieux toucher un salaire plutôt que de le compléter avec
d’hypothétiques stock-options, qu’il valait mieux avoir une sécurité sociale
plutôt qu’une assurance privée, qu’il valait mieux percevoir sa retraite que
compter sur les résultats des fonds de pension. Moyennant quoi pour casser
l’hôpital et basculer l’essentiel des actes médicaux vers le système marchand,
on a diminué le nombre de personnel formé depuis le début des années 80. On est
passé de 10 000 médecins par an au milieu des années 70 à 3 500 ces dernières
années. C’est la raison pour laquelle on a été obligés d’intégrer des médecins
diplômés étrangers. Une partie des services de pointe de l’Assistance publique
fonctionne avec ces médecins formés à l’étranger, qui touchent 1 500 euros par
mois. En ce qui concerne le personnel paramédical, on a fermé les dernières
écoles d’infirmières en 98. La situation est telle que les gens qui en ont les
moyens vont passer facilement à un système assurantiel. Certes, on va garder le
cadre de la sécurité sociale, mais dans le plan de réforme prévu, on va étendre
la délégation de gestion de la sécurité sociale accordée aux mutuelles aux
groupes d’assurances. Donc quand il y aura délégation de gestion, elle
s’exercera sur la part sécurité sociale, qui diminuera de toute façon, et le
reste dépendra du niveau de couverture souscrit auprès de l’assurance. Une
partie des médecins seront « ponctionnés » par les assurances et ne recevront
que les clients qu’elles leur enverront.
Cette stratégie a été mise en place par la droite au début des années 80, elle a
été accompagnée par la gauche, poursuivie et accélérée par Mattei. Avec sa
réforme « Hôpital 2007 », avec celle de la sécu qui doit s’enchaîner, ce sont
des sommes considérables qui vont basculer vers le secteur marchand.
Les résistances
en milieu
hospitalier
À l’hôpital, le personnel, toutes catégories confondues, fait
le même constat. Tout le monde fait des heures sup. qui ne sont pas payées. Pas
d’embauche et un personnel qui ne peut prendre ni ses RTT, ni ses récupérations
qu’il met sur des « comptes épargne temps » ! Ce ne sont donc pas les RTT qui
entraînent les dysfonctionnements de l’hôpital, mais le manque de personnel qui
ne permet plus d’assurer un fonctionnement normal et de qualité.
Syndicalement, on se bat pour défendre l’hôpital public et l’égalité devant la
maladie, mais quand on fait grève, on bosse quand même. Donc on met un badge. On
a comptabilisé qu’entre 1998 et 2002 on avait fait 6 mois de grève. C’est
difficile de se mobiliser dans ces conditions. Les gens sont épuisés. On a beau
se battre, on a beau faire grève, à un moment donné, on arrive à bloquer un
certain nombre de choses, mais on se fait « entuber » en permanence. Il y a des
luttes ponctuelles sur des perspectives immédiates, mais sur la stratégie
globale on a besoin d’une force politique. Or les forces politiques n’existent
pas. On ne les a pas vues, on ne les voit pas.
Mais je suis persuadé qu’on reconstruira une force politique à partir du
mouvement social, avec les débris du Parti communiste ou sans les débris du
Parti communiste, mais sûrement avec des gens qui étaient au Parti communiste.
Entretien réalisé par
Marie-Catherine Andreani