la raison tonne en son cratère

Le Manifeste - N° 3 - Janvier 2004
Supplément 4 pages Spécial 80e anniversaire de la mort de Lénine
Participations :

 

Les expériences du mouvement communiste

« J’ai participé aux réunions sur Que Faire ? de Lénine au nom de l’organisation Voie prolétarienne Partisan parce que nous sommes une organisation qui se réclame du léninisme. Sans papiers et immigration, altermondialistes, fermetures d’usines, il est important d’avoir une position de classe, d’aider la classe ouvrière à prendre conscience de sa propre place dans la société en rapport avec les autres classes. C’est cela le travail des communistes, faire en sorte que la classe ouvrière ait une conscience pour soi. Un autre enseignement vivant du léninisme, c’est que les ouvriers n’ont pas de patrie. »

Sylvie Durand

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Good Morning Lénine

« Le collectif Utopies avait décidé de consacrer une soirée à Lénine bien avant la sortie en France du film de Wolfang Beeker, Good Bye Lénine. À un certain point de l’histoire, à plus forte raison lorsque celle que nous venons de vivre semble aboutir à une impasse, il devient urgent de retrouver ceux qui ne sont plus lus, d’aller à leurs textes, pour reprendre une position de travail théorique et produire la critique de la période concernée.
Le 21 avril a été un choc rude, mais l’événement lui-même n’était-il pas l’action d’une critique menée dans un ressentiment partiellement conscient et sans débouché politique sérieux de la période écoulée, n’était-il pas la sanction exprimée contre une gauche ralliée au marché et à la gestion du capitalisme, partant de là, potentiellement porteur de constructions nouvelles ?
Quand Marx parle du parti communiste en 1848, il s’agissait d’avantage d’un mouvement social que d’une organisation « le communisme est le mouvement d’abolition du réel » disait-il. Lénine lui ne considérait pas que le parti révolutionnaire était l’émanation de la lutte des classes, mais le concevait comme l’instrument qui créait la classe ouvrière et lui donnait la capacité de changer le rapport de forces en multipliant l’énergie de ses militants. N’est-ce pas ce qui nous fait défaut dans la période actuelle ?
Pour notre part il ne s’agit pas de célébrer une icône ou de regretter d’une quelconque façon une sorte de petite père des peuples, protecteur et tout puissant, placé par la ferveur populaire aux origines d’une humanité radieuse dont il serait le guide génial. Il ne s’agit pas non plus de vouloir reconstruire un vieux parti miné par les erreurs et l’opportunisme, naviguant à vue, comme dans la dernière période pour préserver la capacité de pouvoir d’une poignée de dirigeants. Non, il s’agit de revenir sur ce qui a été les fondements d’une aventure humaine sans précédent, qui a eu lieu dans le siècle dernier après la prise du Palais d’hiver et qui a constitué un espoir immense pour les peuples du monde. »

Gilbert Rémond

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Que trouver dans Que Faire ?

« Essentiellement un invariant : la nécessité du parti révolutionnaire qui « dirige la lutte de la classe ouvrière.... Pour la suppression de l’ordre social qui oblige les non possédants à se vendre aux riches. Pour la suppression des rapports sociaux capitalistes ». S’il n’y a pas de parti révolutionnaire qui montre la voie, oriente, impulse la lutte, il ne peut pas y avoir de réelle perspective révolutionnaire. En corrélation étroite avec l’existence du parti se situe l’importance de l’élaboration théorique. Car « sans théorie révolutionnaire, pas de parti révolutionnaire ».
Autre point fort : le parti représente la classe ouvrière dans ses rapports non seulement avec un groupe d’employeurs, mais aussi avec toutes les classes sociales. L’action politique s’exerce dans le cadre d’un état et en vue de la prise du pouvoir d’Etat, qui reste le lieu politique central de l’affrontement de classe.
Troisième point fort sur le rôle du parti : « entreprendre activement l’éducation politique de la classe ouvrière, travailler à développer sa conscience politique ». Il ne suffit pas, répond Lénine, « d’éclairer les ouvriers sur leur oppression politique, il faut faire de l’agitation à propos de chaque manifestation concrète de cette oppression ». L’oppression de la classe ouvrière, même dans une société dite démocratique, reste une réalité. »

Gérard Julien

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Lénine danse
Un poème de Francis Combes

Quand Lénine apprit que la révolution bolchevique
avait tenu soixante douze jours,
soit un de plus que la Commune de Paris,
il sortit du Kremlin et dansa dans la neige.
Sans doute n’imaginait-il pas,
à cette époque où l’ennemi était aux portes
et où il dansait en soufflant dans ses mains,
que l’Union tiendrait soixante-douze années
par le fer, le sang et les roses
dans les tranchées de Stalingrad, les steppes de l’Asie,
en orbite autour de la Terre ou sur un barrage de Sibérie
où des filles de vingt ans s’en iraient bâtir l’Avenir
et les camions rouleraient, au cœur d’avril,
sur des fleuves gelés...
Il ne savait pas non plus qu’un jour la glace céderait
sous le poids des hommes
ou que peut-être les peuples, pour un temps,
en auraient assez de porter à bout de bras leurs rêves
et que disparaîtrait, un matin au réveil,
l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques.
Mais il avait, ce jour-là, des raisons
de danser dans la neige.

in Cause Commune (Le Temps des Cerises, 2003).

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L’œuvre de Lénine

Son premier travail important est une critique des conceptions populistes « Narodniki ». Il traite dans Que Faire ? de la construction d’un parti ouvrier. Pour créer cette organisation, il propose un journal qui rassemble les groupes épars et qui donne une ligne centrale d’orientation politique à tous.
L’autre texte important est Deux Tactiques dans la social-démocratie russe écrit juste avant les évènements de la révolution russe de 1905. Pour Lénine, la bourgeoisie russe était incapable de mener une révolution. Les ouvriers devaient donc être le « détachement le plus conséquent de cette révolution » et n’avoir pas peur de prendre même le pouvoir.
Il écrira aussi que pour les marxistes, surtout dans une période de réaction, il « est obligatoire » d’utiliser « tous les moyens possibles » pour faire de l’agitation et utiliser toutes les tribunes qui permettent de passer la parole des social-démocrates aux travailleurs.
Lénine écrit son célèbre pamphlet La Banqueroute de la IIe Internationale. Il défend l’idée de combattre sa propre bourgeoisie pendant la guerre.
Il va profiter du temps que la guerre lui laisse pour écrire L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme en s’opposant aux conceptions de Kausky.
Dès son retour en Russie, il s’oppose à la ligne conciliatrice de la Pravda, organe du parti dirigé alors par Kamenev, Staline et Molotov, qui prônait une « réconciliation avec les mencheviks » et une conciliation masquée avec le gouvernement provisoire bourgeois. Ce sont les célèbres Thèses d’avril.
Les Lettres de loin expliquent les leçons historiques et militaires de l’organisation de l’insurrection et de la prise du pouvoir.
Dans L’État et la Révolution, il défend le côté révolutionnaire du marxisme, la prise révolutionnaire du pouvoir et surtout avance des idées pour après. Cette brochure a une grande importance pour comprendre la pensée léniniste et les origines du mouvement communiste. Lénine affirme que si « La forme des États bourgeois est extrêmement variées, leur essence est une : en dernière analyse, tous ces États sont, d’une manière ou d’une autre, mais nécessairement, une dictature de la bourgeoisie. Le passage du capitalisme au communisme ne peut évidemment manquer de fournir une grande abondance et une large diversité de formes politiques, mais leur essence sera nécessairement une : la dictature du prolétariat ». Lénine n’a pas fini cette brochure « empêché » comme lui-même le dit par la Révolution.
Pendant la Révolution et après la prise du pouvoir Lénine écrit beaucoup d’articles. Il combat une tendance de droite dans sa brochure La Révolution Prolétarienne et le renégat Kautsky.
Après le premier congrès de l’Internationale communiste, il critique dans la brochure Le Gauchisme, maladie infantile du communisme de jeunes militants et affirme l’obligation pour les communistes de travailler même dans les syndicats le plus réactionnaires, d’utiliser tous les moyens d’agitation en direction de la classe ouvrière, de participer aux élections tant que les masses croient encore au parlement bourgeois, de profiter de la moindre hésitation, division de la bourgeoisie, d’établir les alliances le plus variés, mêmes si elles ne sont que instables, passagères, tant qu’elles permettent de faire avancer un tant soit peu la conscience de la classe ouvrière.
Fin 1922 et en 1923, il écrit contre la bureaucratisation croissante du régime. « Mieux vaut peu mais bon », son refus de la constitution fédérale proposée par Staline, et d’autres articles constituant son Testament témoignent de son effort pour s’opposer à cette tendance de fond qui va submerger le parti, l’État et les Soviets.

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Qui était Hanns Eisler ?
(1898 – 1962)

Peu de gens connaissent aujourd’hui le nom même de Hanns Eisler pour qui « notre chant doit devenir une arme de combat ».
Eisler reçoit une formation musicale classique à Vienne. Il y devient, aux côtés de d’Alban Berg et d’Anton Webern, un des élèves les plus prometteurs d’Arnold Schönberg qui lui enseigne le contrepoint. Eisler, qui dirige déjà des chorales ouvrières, ressent vite la nécessité d’aller au contact de ce qui est le plus avancé socialement : la classe ouvrière organisée. À Berlin, il devient critique musical dans Die Rote Fahne (Le Drapeau Rouge, organe du Parti communiste allemand), travaille avec la troupe d’agit-prop Das Rote Sprachrohr (Le Porte-voix Rouge) et donne des cours du soir à la MASCH (Marxistischen Arbeiter-SCHule : école marxiste pour les ouvriers).
Il crée un nouveau style musical : la Kampfmusik, la « musique de combat ». Il s’agit de fournir au mouvement ouvrier organisé une forme musicale vocale qui soit à la hauteur de la radicalité de sa lutte. La nouvelle forme du chant est agressive, elle fait entrer dans une constellation nouvelle les formes anciennes (la marche, par ex.) et nouvelles (le jazz, avec ses syncopes) ; elle doit être techniquement avancée (pour être à la hauteur de son temps) sans être politiquement élitiste (puisqu’elle doit être comprise, mémorisée et pratiquée dans les rues par des non professionnels). Hanns Eisler a su concilier cette exigence artistique et l’accès à une véritable popularité : les chants de combat qu’il a composés à partir de 1928 sont chantés par des milliers d’ouvriers dans les manifestations et les meetings : Der Rote Wedding (Le Wedding rouge, nom d’un quartier ouvrier de Berlin), le Kominternlied (Chant du Komintern), Der heimliche Aufmarsch (Le Défilé secret), Solidaritätslied (Chant de la solidarité) ou encore Einheitsfrontlied (Chant du front uni).
Le Lenin-Requiem, dont la composition est achevé en 1937, pour le 20e anniversaire de la Révolution d’Octobre, s’inscrit en grande partie dans cette tradition. À partir d’un texte de Bertolt Brecht, Eisler s’y livre à un détournement de la forme religieuse du requiem.

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Que Faire ? aujourd’hui

Pourquoi lire le Que faire ? aujourd’hui donc, et comment le lire. Tout véritable héritage doit être productif ! Il existe un texte capital auquel une pareille interrogation invite à recourir, même si son auteur est quelque peu oublié : c’est le texte que Georg Lukàcs publié en 1923 dans son livre Histoire et conscience de classe : « Qu’est-ce que le marxisme orthodoxe ? » L’auteur y affirme qu’en matière de marxisme, la véritable orthodoxie ne se situe pas dans le respect d’un certain nombre de dogmes mais uniquement dans la méthode de la recherche.
Le texte de Lénine pose le problème de la constitution du prolétariat en classe révolutionnaire. Cela nous amène à poser la question de l’organisation d’un parti révolutionnaire en ces termes : à quelles conditions économiques et sociales particulières les militants révolutionnaires sont-ils confrontés lorsqu’ils s’efforcent de faire avancer sur les lieux de production la prise de conscience de l’unité des intérêts des salariés ?
Lénine montre dans le Que Faire ?, contre les « économistes », que la conscience politique d’une classe sociale n’est pas le reflet mécanique de ses conditions économiques de travail : les partis et organisations de cette classe ont un rôle déterminant dans la mesure où ils influent sur la façon dont ces conditions économiques sont perçues et comprises.

Romain Mozzanega

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Pourquoi je m’intéresse à Lénine et à son combat ?

« On assiste, dans la montée des mécontentements et des luttes sociales, à un rejet du rôle de la stratégie politique. Généralement le spontanéisme et l’économisme règne : les acteurs des luttes sociales et politiques n’ont pas de réels projets révolutionnaires pour les travailleurs, ou bien s’ils en ont un, ils ne s’inscrivent pas dans une démarche de prise du pouvoir. On assiste à un retour du socialisme utopique, ce qui constitue non seulement une régression par rapport à Lénine mais aussi par rapport à Marx lui-même.
Il existe tout un courrant soutenu par les idéologues dominants, selon lequel Lénine serait le responsable des crimes de Staline, il lui aurait ouvert la voie. Seule une lecture attentive de Lénine, permet de déjouer ces pièges idéologiques. »

Éric Serre

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