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Le Manifeste - N° 3 - Janvier 2004
Porter haut le chant…
Jacques Gaucheron me reçoit dans sa maison de La Frette, sur une colline qui domine la Seine. Maison qu’il a bâtie de ses mains, il y a de nombreuses années ; où il a planté des arbres (dont un jeune pommier) et fait pousser de nombreux poèmes…
A quatre-vingt trois ans, Jacques Gaucheron reste l’homme en
éveil, lucide envers le monde, l’ami exigeant et attentif, le poète de haute
tenue et haute teneur que je connais depuis plus de vingt ans. Il est l’auteur
d’une œuvre qui trace depuis la Libération un sillon singulier dans la poésie
française et dont il faudra dire la place et l’importance, une œuvre sensible et
inquiète, une voix à la fois élevée et familière, toujours tendue, malgré les
coups bas de l’histoire, vers l’espérance maintenue d’une vie plus belle et plus
humaine sur la Terre; Il est l’auteur de nombreux recueils, tels Jericho, La
Liturgie de la fête, à nous deux l’amour, d’un opéra, Les Canuts, (avec une
musique de Joseph Kosma) créé en 1959 à Berlin puis joué à Lyon, d’un important
volume, aux éditions Messidor, Entre mon ombre et la lumière, d’un autre, État
de veille au Temps des Cerises (qui vient d’être traduit en japonais), d’essais
sur la poésie de la Résistance ou sur éluard,
de traductions et de livres réalisés avec des artistes et amis tels Boris
Taslitzky…
Jacques Gaucheron est né en 1920, dans une famille beauceronne, durement marquée
par la guerre. Son père, un jeune instituteur, était revenu des premiers combats
dans la Marne gravement mutilé. L’enfance et la vie d’adulte de Jacques
resteront à jamais marquées par l’horreur de la guerre, et plus généralement de
la cruauté imbécile dont elle est le summum. Pendant ses années de lycéen à
Chartres, Jacques se sent plutôt socialiste et il crée avec d’autres un cercle
culturel socialiste (ce qui lui vaudra plus tard des ennuis avec les
renseignements généraux). Sa première conférence a pour sujet Rimbaud.
De la poésie
à la résistance
Quand vient la guerre, comme tant d’autres, il connaît
l’exode, avec des gens qui meurent, à côté de lui, sur la route… Puis se
retrouve à Marseille, où il peut retourner en Khâgne et se lie à un groupe de
jeunes, dont François Monod, avec qui il commence à faire des tracts pour
appeler à la Résistance. Avec l’inconscience (ou le panache) de la jeunesse, il
iront même jusqu’à Vichy, coller des tracts dans les toilettes de l’Hôtel du
Parc, au nez et à la barbe de la police des collabos ! Puis, il se replie sur le
Massif central, où il entre en contact avec des communistes, par l’intermédiaire
de prêtres. Et se fait enrôler dans un chantier de la jeunesse, tenu par un
royaliste résistant.
Recherché pour le STO, il est conduit à Paris et encaserné boulevard Mortier.
Là, profitant d’un moment d’inattention de la garde, il se fait la belle et
entre dans la clandestinité.
Pendant la résistance, grâce à des contacts qu’il avait du côté de Juvisy, il se
livrera à une activité d’agent de liaison, passant régulièrement la ligne de
démarcation.
Raisons d’être…
à la
Libération, dans une atmosphère d’effervescence politique et intellectuelle, il
prend part aux premières soirées du Comité national des écrivains et fait la
connaissance d’Aragon, d’éluard,
de Tzara ou de Cassou avec lesquels ils se liera d’amitié. C’est dans cette
période que paraissent ses premiers poèmes : La grande épitaphe misère et le
Chant du rémouleur qui le fait remarquer. Nettement plus jeune qu’eux, il sera
néanmoins considéré comme faisant partie de la même lignée poétique. Bientôt, il
dirige une collection aux éditions Raisons d’être, dans laquelle il publie
notamment Tout dire d’éluard.
Après l’adhésion en quelque sorte naturelle de la Résistance se pose la question
de l’adhésion intellectuelle au communisme. Il faut apprendre le marxisme. Dans
le même temps qu’il prépare l’Agreg et le Capes, il fonde un cercle de
philosophie, que fréquentent entre autres Jean Duvignaud et Henri Lefebvre. Ce
Cercle Mortier, qui se réunissait toutes les semaines, n’étant pas dû à une
initiative du Parti, il sera finalement dissout. (C’est Pierre Daix qui se
chargea de l’annoncer à Jacques…)
Suivront des années d’enseignement, en lycée, à Paris et à Mantes. Puis comme
professeur aux Arts Déco. Des années de militantisme aussi, marquées par une
nouvelle guerre, la guerre froide (lors de laquelle il sera agressé par des
fascistes un jour qu’il vendait L’Humanité). Et par une activité littéraire et
poétique régulière, notamment au sein de la rédaction de la Nouvelle Critique et
de la revue Europe.
Si on lui demande qu’elle leçon il tire de l’expérience des communistes, il
répond : « Le communisme est un mouvement porteur de l’espoir d’une libération
toujours inachevée. Le vrai problème est d’entraîner, à des niveaux différents
la participation des citoyens, trouver les formes de cette participation active…
»
Le meilleur visage
de l’homme…
Quant à la nécessité à ses yeux de la poésie, il répond par un vers de son poème Orphique : « accoutumer l’homme à son meilleur visage ». En tout domaine, pour lui, la poésie est ce chant de l’homme, cette joie par laquelle il est lui-même et se dépasse. Ainsi, pour lui, le « bonheur, c’est la poésie de la vie »…
Francis Combes
Voici un poème que J. Gaucheron a écrit pour les vœux 2004 et que nous reproduisons pour les lecteurs du Manifeste :
Entre les branches de la lyre
Passe le souffle de la vie
Ses cordes portent haut le chant
Pour que sous nos fronts jamais ne se perdent
La force de l’espoir et le goût du bonheur.