il n'est pas de sauveur suprême

Le Manifeste - N° 3 - Janvier 2004

 

Gabriel Péri
Fidélité à son idéal

Le conseil national du PCF, au sein duquel les querelles personnelles comptent plus que le débat d’idées et l’avis des adhérents, a décidé (par 60 voix contre 41 !), la création d’une « fondation Gabriel Péri », présidée par l’ex-secrétaire général de la mutation « sociale-libérale » du PCF, ex député d’Argenteuil. Qui était Gabriel Péri ?

Fondation Gabriel Péri ? Certes, tout le monde a le droit d’admirer ce militant communiste, député de Seine et Oise, spécialiste des questions internationales à l’Assemblée et au journal L’Humanité, fusillé par les occupants nazis le 15 décembre 1941 avec la complicité du gouvernement français du maréchal Pétain. Mais personne n’a le droit de se servir de sa mémoire en la travestissant pour justifier une entreprise politicienne droitière et opportuniste. C’est pourquoi il est bon d’évoquer le parcours de Péri, l’un de ces communistes dont l’intégrité força le respect de ses adversaires eux-mêmes. Les exploiteurs, les dictateurs ont peur d’hommes tels que lui, et les tuent faute de pouvoir les asservir. D’autres ne risquent pas ce destin de martyrs : ils se vendent au plus offrant et ne croient plus en rien, même pas en eux-mêmes. Ils seront rejetés avec les débris de l’histoire dès qu’ils ne seront plus utiles à leurs sponsors.

Adhésion d’origine intellectuelle

À l’inverse de dirigeants revendiquant encore par ouvriérisme et démagogie l’emploi salarié qu’ils ont pratiqué quelques mois dans leur jeunesse, Péri affirmait fièrement son statut d’intellectuel venu à la révolution par l’étude : « Je suis né à Toulon en 1902. Mon grand-père était, dans sa jeunesse, parti d’Ajaccio, et s’était embarqué comme mousse à bord d’un navire de guerre et avait travaillé, étudié, gagné des galons... Le frère de ma grand-mère était archiprêtre et prêchait le carême à l’église. Mes parents habitaient Marseille... Ma famille vivait dans une modeste aisance qu’entretenait comme dans la plupart des familles de la petite bourgeoisie une pratique stricte de l’épargne... Je cherchais une explication de la guerre, considérée non point seulement comme une source de souffrances, mais comme un bouleversement dont je voulais découvrir le sens... La révolution russe et les secousses révolutionnaires qui ébranlèrent le monde entre 1918 et 1920 bouleversèrent mes projets... Mon adhésion au socialisme n’a pas été le résultat de la révolte que m’aurait inspiré le spectacle d’iniquités sociales. Elle n’a pas été non plus l’effet de mes fréquentations et la conséquence d’habitudes familiales. Ma mère était pieuse et avait veillé avec un soin jaloux à mon éducation religieuse... J’étais venu à la révolution par la voie de l’étude passionnée, de la méditation fiévreuse... Adhésion d’origine intellectuelle, cérébrale peut-être, mais somme toute l’expérience a démontré que les adhésions de ce genre ne sont pas de qualité inférieure et de fidélité moins sûre... »
Militant aux JC et au Parti communiste dès sa jeunesse marseillaise, il est très vite remarqué pour son dévouement militant et son intelligence politique par les dirigeants du jeune parti communiste français : « En octobre 1924, je devins chef du service politique étrangère à L’Humanité de Paris. J’ai exercé ces fonctions jusqu’au 25 août 1939... »
C’est en 1932 que l’intellectuel, le militant, est appelé en Seine et Oise. En quelques années de présence quotidienne auprès d’eux, il devient le dirigeant politique admiré et aimé des ouvriers d’Argenteuil et de sa région.
Internationaliste intransigeant, Péri dénonce à l’Assemblée les impérialismes nazi et fasciste qui embrasent l’Europe et celui de la France qui pille les peuples des colonies. Et son action auprès des travailleurs immigrés italiens d’Argenteuil va dans le même sens.
En 1939, le PCF est interdit et Gabriel Péri vit en clandestin durant de longs mois, qu’il occupe à rédiger une brochure dénonçant le nazisme. Il est arrêté, début 1941, sur dénonciation, et ses geôliers pétainistes, ne parvenant pas à lui faire signer une condamnation de la résistance communiste, le livrent aux bourreaux nazis qui le fusillent le 15 décembre 1941. Jusqu’au bout, il est le symbole de la fidélité à son idéal : « ... Les années ne m’ont pas rendu sceptique et ne m’ont pas fait récuser mes opinions anciennes. Sans doute parce que plutôt que d’adhérer à des formules, je me suis inspiré de l’esprit qui les animait... Je n’ai rien renié des opinions auxquelles j’ai cru dans ma jeunesse et que j’ai aimées… C’est un sentiment qui suffit à embellir une vie humaine, à la rendre sinon heureuse, du moins digne. » (Gabriel Péri, Autobiographie)
De 1932 à 1939, Péri a signé la plupart des éditoriaux du journal Le Prolétaire, édité par le PCF à Argenteuil. Au-delà des thèmes nationaux, pour la paix, contre le fascisme et le racisme, il y a exprimé sa conception de l’idéal communiste : « Le Parti communiste n’est pas un parti comme les autres, et voilà pourquoi sa campagne électorale ne sera pas une campagne comme les autres... pour l’inaugurer, nous avons appelé les prolétaires à manifester dans la rue contre la guerre, contre la misère ouvrière, pour la défense de l’URSS » (26 mars 1932).
Le contraire du discours mielleux des notables de la « Fondation Gabriel Péri », qui tentent d’utiliser l’image pieuse du martyr communiste comme les tortionnaires de l’Inquisition ou de Franco utilisaient la figure du Christ…

Francis Arzalier

Témoignages de Gianferrari, Sacchetti, Tonsi,
militants communistes d’Argenteuil, publiés dans Aspirations révolutionnaires en Val d’Oise, F. Arzalier - Éd. Temps des cerises - 1999 :

« G : Ici à Volembert (quartier d’Argenteuil proche de Sannois), il y avait 90 % d’Italiens et les 10 % de Français avaient appris l’italien.
T : Dès qu’on a été là on a connu Péri qui était déjà à Argenteuil. Il parlait bien l’italien, sa femme aussi...
S : Ici on était tous antifascistes. On l’a tout de suite adopté. Il arrivait à se faire comprendre et aimer, même des non-communistes. Il parlait bien l’italien. Les Italiens avaient beaucoup de problèmes, ils allaient le voir, s’expliquer. Il allait même dans les familles. C’était incroyable, il n’avait pas d’arrêt, cet homme.
G : C’était surtout un homme simple que rien ne rebutait. »

Témoignage de Claude Weber,
député communiste du Val d’Oise de 1973 à 1981 (enregistré par F. Arzalier en 1985)

« Un souffle frais passa sur la circonscription en 1932 avec la venue de Gabriel Péri. Orateur remarquable, il rassemblait de loin les auditoires les plus nombreux. Je le vois encore agitant sa main droite levée... Les gens l’écoutaient, attentifs, passionnés. C’était souvent les plus pauvres : dans un bistrot en planches des Cailloux gris à Herblay, les femmes aussi étaient venues, bien que ne votant pas... Elles étaient pieds nus. Les militants communistes étaient galvanisés, mais pas seulement eux. Beaucoup d’hommes de gauche dans le courant socialiste voyaient en Péri le seul qualifié pour défendre l’ensemble des couches laborieuses et pour battre la réaction...
À l’annonce de la victoire de Péri, par 12 222 voix contre 11 271 à De Fels, ce fut une explosion de joie… Des cortèges convergeaient de tous les quartiers d’Argenteuil en direction de la mairie. Celui venant des Champioux avait à sa tète les “les Bigophones rouges des Champioux”, une centaine d’hommes en casquette, très dignes, jouant l’internationale. Les drapeaux rouges fleurissaient... »