le monde va changer de base

Le Manifeste - N° 3 - Janvier 2004

 

Out of Africa
Zimbabwe

Toute la presse s’accorde à stigmatiser le président Robert Mugabe. Le véritable crime de M. Mugabe n’est-il pas la mise en oeuvre de la redistribution des riches terres cultivées pour l’exportation de tabac et de fleurs et « l’indigénisation », comme il le dit, de l’économie du pays ? Comme un mauvais exemple à donner à ses voisins, où les mêmes problèmes se posent…

Lorsque le 17 avril 1980, le Zimbabwe accède pour la seconde fois à l’indépendance (la première fois, celle-ci avait été décrétée unilatéralement par Ian Smith en 1965 et reconnue uniquement par l’Afrique du Sud de l’apartheid), la population blanche de l’ancienne Rhodésie conserve son hégémonie sur l’activité économique du pays. En effet, les accords de Lancaster House qui sont signés imposent au nouveau gouvernement un moratoire de 10 ans concernant le règlement de la répartition des terres, moyennant à terme une aide financière de la Grande Bretagne pour le dédommagement des fermiers blancs (6 000 fermiers blancs possèdent alors 15,5 millions d’hectares, dont 45 % des terres les plus productives).

Une réforme agraire
toujours différée

En 1991, le moratoire de 10 ans ayant été respecté, et face à une situation économique difficile, le gouvernement veut réactualiser la répartition des terres. La réforme agraire n’est que partiellement mise en œuvre, les gouvernements de Margaret Thatcher et de Ronald Reagan refusant d’honorer les engagements de Lancaster House en matière de fonds de compensation. Parallèlement Mugabe accepte la mise en place d’un programme d’ajustement structurel défini par la Banque mondiale. La politique d’ajustement structurel provoque au Zim-babwe les mêmes effets que partout ailleurs : privatisations des entreprises publiques – pour ne pas dire « liquidations » – s’accompagnant de licenciements massifs, baisse des salaires, budget de l’État dans les domaines de la santé et l’enseignement considérablement « allégés ».
En 1997, le pays connaît ses premières émeutes de la faim. Le taux de fréquentation des écoles chute de 20 % et le coût de l’accès aux soins augmente de 150 %.
Pour enrayer ses difficultés économiques et sociales, le gouvernement tente encore une fois de régler la question des terres. Mais les crédits sollicités par le Zimbabwe lui sont de nouveau refusés. Et l’intervention militaire en République démocratique du Congo, qui devait rapporter des débouchés économiques au pays en cas de victoire, coûte cher et dure plus que prévu. Et le Zimbabwe ne bénéficie pas de la même sollicitude des états-majors occidentaux et américains que le Rwanda et l’Ouganda. L’inflation dépasse les 100 %. La situation économique et sociale est explosive. Le problème de la réforme agraire n’est toujours que très partiellement réglé. Le gouvernement rompt ses relations avec le FMI et la Banque mondiale en 1999. Autre exemple à ne pas suivre, ni dans la région, ni ailleurs.

Isolement et campagnes de presse :
du déjà vu

Le gouvernement est décidé alors à mener à bien une réforme agraire susceptible de permettre l’autosuffisance alimentaire de la majorité de la population. Il prévoit la redistribution de 8,3 millions d’hectares de bonnes terres sur un total de 11 millions. Le parti d’opposition à Mugabe, le Mouvement pour le changement démocratique (MCD), ne se prononce pas franchement sur la question, pris entre les électeurs potentiels et le soutien affiché dont il bénéficie de la part des fermiers blancs, de la Fondation Westminster qui l’appuie financièrement depuis Londres, de la droite sud-africaine, et de nombreuses ONG locales apparues pour l’occasion et financées par l’Europe et les États Unis.
Au mois de mars 2002, Robert Mugabe est réélu avec 56 % des voix contre 41% à son opposant du MCD, Morgan Tsvangiraï. La condamnation pour fraude électorale est unanime en Occident. Les représentants des chefs d’État de la Communauté de développement d’Afrique australe et l’Organisation de l’unité africaine se démarquent des Occidentaux en affirmant que pour eux ces élections ont été « libres et démocratiques ».
Mais la pression des Britanniques est telle que l’Afrique du Sud et le Nigeria acceptent de souscrire à la suspension du Zimbabwe du Commonwealth pour un an.
Début décembre 2003, Robert Mugabe n’est pas invité au dernier Sommet d’Abuja au Nigeria où les dirigeants du Commonwealth décident de maintenir la suspension du Zimbabwe, pour une période illimitée cette fois-ci.
À la surprise générale, Robert Mugabe dénonce le Commonwealth à l’issue d’une conférence de son parti (Zanu-PF), déclare que cette suspension est inacceptable, et qu’il ne sacrifiera pas « la souveraineté et l’indépendance du Zimbabwe ». Il annonce que « le Zimbabwe quitte le Commonwealth avec effet immédiat ».
Et pendant ce temps, la plupart des fermiers blancs contraints de quitter leurs exploitations au Zimbabwe ont filé en Zambie ou au Mozambique voisins, louant à l’État mozambicain les terres à 1 dollar US l’hectare par an, louant les bras de travailleurs agricoles également contre l’équivalent d’un dollar US la journée, pour la culture du… tabac.
Une re-colonisation du Mozambique, en quelque sorte.

Marie-Catherine Andreani

Acquisition des terres
La loi d’acquisition des terres votée en 1991 au Zimbabwe visait les terres sous-utilisées dont les propriétaires étaient absents (souvent à Londres), celles de propriétaires détenant plusieurs fermes, ainsi que les domaines jouxtant des terres communales.

Dette extérieure
Le gouvernement de Robert Mugabe avait doté les régions rurales de routes, d’accès à l’eau et à l’électricité, construit des écoles, des cliniques. Le taux d’alphabétisation atteignait 91 % ; mais dès 1989, la dette extérieure du pays atteignait 2,6 milliards de dollars.

4 000 fermiers blancs
En mars 2002, 4 000 fermiers blancs possèdent encore 11 millions d’hectares des terres les plus fertiles. La plupart d’entre eux cultivent du tabac, des fleurs, des graines de coton pour l’exportation. 1 million de fermiers noirs vivent sur 16 millions d’hectares de sols moins fertiles et produisent 70 % de la récolte de maïs du pays.

Quelques données :
Superficie : 390 580 km2
Population : 11 200 000 habitants
Densité : 28,67 h/km2
Langue officielle : Anglais
Capitale : Harare
Production agricole du Zimbabwe : Canne à sucre ; maïs ; blé ; coton-graine ; graines de soja ; arachides : thé ; café ; fleurs, légumes frais ; tabac.
Réserves minières : charbon ; fer ; platine ; or ; diamants et pierres précieuses ; nickel ; amiante ; chromite ; étain ; cobalt.