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Le Manifeste - N° 3 - Janvier 2004
Derrière l’Euro fort
Les rivalités inter-impérialistes
s’aiguisent
L’Euro est en train de devenir la première monnaie d’emprunt pour la dette des États et constitue désormais une alternative crédible au dollar. Cela ne va pas sans contradictions, mais, comme d’habitude, ce sont les peuples qui trinquent.
Les chroniqueurs économiques s’extasient face au niveau atteint par l’euro par rapport au dollar. La monnaie européenne a moins de deux ans. Les records sont faciles à établir. À 0,80 euro pour un dollar, le billet vert reste largement au-dessus de 5 francs. Il a depuis longtemps connu des minima inférieurs.
Le dollar partout
Ce qui est historique, c’est que l’euro sera en 2003 devenu
la première monnaie d’emprunt pour la dette des États. Il constitue désormais
une alternative crédible au dollar pour figurer dans les réserves d’un certain
nombre de banques d’État : les fameuses « ban-ques centrales » qui émettent la
monnaie. Le niveau des déficits américains est historique aussi par son ampleur.
Il s’agit du déficit du commerce extérieur (le pays importe largement plus qu’il
n’exporte) et du déficit du budget.
Car les États-Unis pratiquent depuis la guerre un impérialisme spécifique :
l’impérialisme monétaire. Seule monnaie utilisée pour les échanges
internationaux, le dollar est accepté partout. Il suffit donc d’en émettre pour
se procurer les biens d’investissement dont l’économie américaine à besoin. Par
exemple des ordinateurs taïwanais. Taïwan a besoin de ces dollars pour acheter
par exemple… du pétrole. De proche en proche, leur contrepartie en monnaie
nationale ne sera jamais exigée. Ils peuvent y parvenir dans un pays très
endetté : les Philippines ou l’Argentine par exemple. Ils seront alors les
bienvenus. Les dettes internationales se remboursent aussi en dollars.
L’arrivée de l’euro peut compliquer le système. De dangereux criminels du
tiers-monde envisagent d’accepter cette monnaie en échange de matières
premières. Un certain Saddam Hussein avait déjà utilisé cela pour le pétrole
irakien… Échaudés par cet exemple, certains pays pourraient néanmoins envisager
d’emprunter en euros.
Que les États-Unis voient cela d’un mauvais œil, c’est évident. Leur politique
actuelle doit se mesurer à cette aune. Face à la concurrence d’un impérialisme
rival, leur agressivité redouble. Pour une fois, on peut parler de « guerre
économique » au sens propre. Leur récente décision de fermer le B.T.P. irakien à
leurs rivaux est symptomatique. Quant au contrôle des puits de pétrole on peut
se douter qu’il restera entre les mains de leurs « majors » avec quelques
miettes pour B.P. et la Shell. Le libéralisme risque d’y trouver ses limites.
Quand les peuples trinquent
L’impérialisme européen est en gestation. Aujourd’hui il est
surtout franco-allemand. Prendre sa part au pillage du reste du monde, tel est
son objectif.
Quant aux peuples, ils trinquent. D’abord par la multiplication des guerres.
Toujours présent, le conflit entre les deux impérialismes est plus ou moins
direct selon les cas. Ensuite parce que vingt-cinq ans de « franc fort » suivi
d’un euro fort, c’est aussi vingt-cinq ans d’austérité, de privatisations. Les
conséquences sont là : besoins sociaux insatisfaits, retour en force de la
misère de masse avec multiplication des sans-abris, réapparition des soupes
populaires etc…
Le fait nouveau, également, c’est la grogne de plus en plus ouverte de certains
milieux patronaux. Ainsi le patron du groupe Schneider Electric s’interrogeait
dans La Tribune de l’Économie du 15 Décem-bre : « Plus l’euro monte, plus leurs
produits se renchérissent à l’exportation. » Des contradictions secondaires
entre bourgeoisie industrielle et bourgeoisie financière semblent se faire jour.
La Banque Centrale Euro-péenne et la Commission de Bruxelles restent sourdes à
ces appels. Trichet pleure le défunt pacte de stabilité. Du côté de Prodi, le
spectacle est pitoyable. Son « action européenne pour la croissance » visait à
développer les réseaux de transport, de télécommunication et à soutenir
l’innovation. Le Conseil européen accepte royalement de prendre en charge 20 %
des coûts pour les projets transfrontaliers. Pour le reste, on implore le privé,
en se doutant bien qu’il manquera à l’appel.
Pas question de bâtir des infrastructures publiques d’intérêt collectif. Ce
serait, contraire à la nature de cette Europe supranationale du grand capital !
Olivier Rubens