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Le Manifeste - N° 3 - Janvier 2004
Révolution agraire
et souveraineté alimentaire
L’agriculture est au cœur des négociations internationales et pour une large part des échecs successifs des sommets mondiaux.
Elle fait la une de l’actualité mondiale, alors que certains pourraient considérer cette activité comme dépassée dans des sociétés qui ne pensent plus que « NTIC* », révolution informationnelle et création de valeur pour l’actionnaire.
L’avenir de l’agriculture ne peut se réduire au conflit entre
pays riches défendant leurs agriculteurs subventionnés et pays pauvres ou
émergents interdits de développement agricole, pour cause de non-accès aux
marchés.
La réalité est têtue. 60 % de la population active mondiale dépend de
l’agriculture. Il existe 3 milliards de paysans dans le monde. 840 millions de
personnes souffrent de malnutrition. Le faible recul du nombre de sous-alimentés
(20 millions en 10 ans, selon la FAO,) s’explique par les progrès accomplis dans
une poignée de pays, dont la Chine (qui nourrit 21 % de la population mondiale
avec 7 % des terres arables du monde). La production agricole mondiale, elle, ne
cesse de croître, à un rythme voisin de celui de la population mondiale.
Para-doxe ? Non, c’est le résultat des politiques de domination capitaliste et
de l’arme alimentaire qui dénient aux peuples le droit à leur souveraineté
alimentaire. Nourrir 11 milliards de personnes d’ici à 2150 devient un enjeu
pour le capital financier international (fonds d’investissements, fonds de
pension…) qui tente d’imposer le modèle technique agricole des États-Unis ou de
l’Union européenne, mais sur des grands domaines où les salariés sont parmi les
plus mal payés. Les machines de guerre que sont les politiques de baisse des
garanties et des prix agricoles ont été mises en place par les grands pays
agricoles pour les seuls profits des sociétés transnationales de
l’agroalimentaire et de la distribution.
Exode rural et bidonvilles
Le cycle de Doha de l’OMC, engagé sous le signe trompeur du
développement, s’est inscrit dans la poursuite des négociations visant à la
domination mondiale des USA. Loin de répondre à un souci humaniste et de
solidarité, la libéralisation des échanges agricoles, maître mot de ces
négociations, doit soumettre les agricultures du monde aux lois du marché
capitaliste. Là encore la réalité est têtue : 28 millions d’agriculteurs sont en
culture mécanisée, 300 millions en culture attelée, plus d’un milliard en
culture manuelle ; les différentiels de productivité agricole dans le monde vont
de 1 à 2 000 entre pays en développement (PED) et pays développés. Mises en
concurrence, les agricultures des PED seront laminées, les autres seront
restructurées pour être « compétitives » sur les marchés mondiaux. À terme, ce
sont des dizaines de millions de paysans qui viendront grossir les rangs de
l’exode rural et les bidonvilles des mégapoles.
Il est illusoire de laisser croire que le développement des peuples passe par
l’exportation des produits agricoles et l’ouverture des marchés des pays
développés. Le Brésil, de ce point de vue est illustratif. Premier exportateur
mondial de soja et parmi les premiers pour le sucre, le Brésil compte plus du
tiers de sa population souffrant de malnutrition. Le développement à
l’exportation de ce pays ne bénéficie qu’aux grands latifundiaires dominés par
le capital financier. Le cas du Brésil n’est pas unique ; on retrouve ce modèle
de développement agricole dans les pays qui n’ont pas fait de réforme agraire
(la plupart des pays d’Amérique latine, l’Afrique du Sud, les Philippines,
certaines régions de l’Inde…). Il commence à apparaître via l’émergence de
grands domaines dans les anciens pays d’URSS.
Transformation révolutionnaire
L’agriculture est souvent la base incontournable du
développement dans de nombreux pays. Sans politique agricole et alimentaire
garantissant la souveraineté alimentaire nationale, il ne saurait y avoir de
développement global et équilibré des PED. Chaque pays doit avoir le droit de
protéger son agriculture par un soutien économique et social, des protections
aux frontières, par l’organisation collective des producteurs et la défense des
potentiels industriels stratégiques pour répondre aux besoins alimentaires des
peuples, par la nationalisation des secteurs essentiels de l’amont et de l’aval
de l’agriculture et le refus des privatisations.
L’émergence de luttes fortes pour des réformes agraires « révolutionnaires et
démocratiques » démontre les résistances contre la mondialisation capitaliste en
agriculture et la volonté des peuples de maîtriser leur politique agricole
nationale. C’est le cas au Venezuela (70 % de l’alimentation importée, des
domaines de plusieurs centaines de milliers d’ha détenus par un propriétaire
terrien, qui ne met en exploitation que quelques milliers d’ha), au Brésil avec
le Mouvement des Sans Terre, qui intègre dans ses revendications de réforme les
secteurs de la transformation et de la distribution, au Zimbabwé ou encore en
Afrique du Sud… Elle confirme l’alliance stratégique, basée sur des réalités
objectives certes diverses, mais incontournables, des paysans et des ouvriers
pour des transformations fondamentales tant au niveau national qu’international.
Vieille lune diront certains ! Bien au contraire, plus actuelle que jamais.
Le développement économique et social des peuples des pays en développement
comme des pays développés ne passera pas par une « régulation » sous la
domination du capital. La question essentielle est bien celle de la
transformation révolutionnaire, de la rupture avec le capitalisme, donc du
socialisme et du communisme. Construire des résistances, jeter les bases de
changements fondamentaux, dans chaque pays, là où les peuples ont appris à
lutter, développer des coopérations nouvelles à partir des réalités régionales,
continentales et mondiales. Telles sont quelques-unes de nos responsabilités.
Jocelyne Hacquemand
* NITC : nouvelles techniques de l’information et de la communication