décrétons le salut commun

Le Manifeste - N° 3 - Janvier 2004

 

Privatisation de France Télécom

Savez-vous quand l’industrie du téléphone a été nationalisée ? Et surtout pourquoi ? Si vous répondez 1936, 1945 ou 1981, vous avez tout faux. La nationalisation remonte à 1889. Le gouvernement de l’époque, ayant compris la portée stratégique et industrielle de la découverte de l’écossais Graham Bell, estimait de son devoir d’en avoir la maîtrise.
C’est au lendemain de la deuxième guerre mondiale que s’opère le boom du téléphone, dans le cadre des PTT. Parallèlement, des missions de service public lui sont assignées, ce qu’on appelle le « service universel ». Un demi siècle plus tard, l’État s’apprête à vendre ce « service universel » au plus offrant, après avoir séparé la téléphonie de la Poste en 1991 puis transformé France Télécom en société anonyme en 1996 et donné le feu vert à son introduction en Bourse, un an plus tard.
Si le projet de loi au libellé sibyllin : « Projet de loi relatif à l’évolution des conditions d’attribution des missions du service universel des télécoms, des conditions d’emploi des fonctionnaires et du statut de France Télécom » est adopté, l’État pourra laisser les intérêts privés prendre la majorité du capital, ce qui demeure impossible actuellement. Cerise sur le gâteau, les sénateurs ont même souhaité que France Télécom soit contraint de vendre l’abonnement à ses lignes fixes (13 euros par mois) à ses concurrents.

Vache à lait des actionnaires

Pourquoi en arrive-t-on là ? Il suffit de lire la documentation publique de France Télécom pour le comprendre : « Depuis peu, la déréglementation née outre-Atlantique et l’essor continu de nouveaux produits et services comme le Minitel, les mobiles ou l’Internet font émerger une nouvelle dimension, celle du commercial. » De la notion se service on passe à celle de profit. D’une approche industrielle on glisse vers une conception financière.
Les résultats sont probants. Quelques années seulement après la première phase de sa privatisation, France Télécom pris dans la tourmente mondiale des télécommunications affichait un déficit record de 70 milliards d’euros et une chute abyssale de l’action. Un plan de redressement « vigoureux » a permis de tripler le cours de l’action depuis 2002. Mais d’ici 2005, il est prévu de laisser 27 000 emplois sur le carreau. Le secteur recherche et développement, quant à lui, ne représente plus que 1,5 % du chiffre d’affaires. Les inventeurs du Minitel, qui n’ont pas su prendre à temps le tournant de l’Internet, s’avèrent aujourd’hui exsangues pour faire face aux défis technologiques de demain. France Télécom, fleuron d’une France hardiment tournée vers l’avenir, se voit ravalée au rang de vache à lait pour des actionnaires sans scrupules et sans patrie.
Non sans une certaine habileté, le gouvernement s’est engagé à ne pas remettre en cause le statut de fonctionnaire des salariés qui l’ont encore. Il pourrait y avoir ainsi des personnels publics dans une entreprise devenue complètement privée, jusqu’en 2025 ou 2030. Les syndicats ne sont pas dupes. Pas à pas, le statut de fonctionnaire est vidé de son contenu et pire, présenté comme un boulet au pied de l’entreprise. Il y a décidément quelque chose de pourri au royaume de France.

Nicolas Gramon