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Le Manifeste - N° 2 - Décembre 2003

 

Le compositeur libertaire
Hommage à Frank Zappa

Avec près de 70 CD transgressant tous les codes musicaux, Frank Zappa (1940-1993), décédé il y a tout juste 10 ans, a démontré qu’il était un compositeur aussi inventif qu’intense. Son engagement musical (il est pionnier dans bien des domaines, de la funk au hip hop instrumental) se combine à un très fort investissement politique et cela dès le début des années 1960.

Frank Zappa est l’un des premiers blancs à jouer dans des formations pluriethniques, ce qui déclenche la colère des rednecks. Son premier album (Freak Out ! 1966) dénonce les violences raciales de Watts, un quartier noir de Los Angeles. Sur Absolutely Free (1967), il condamne la publicité qui recommande l’achat de jouets de guerre pour les enfants. En concert à New York, au Garrick Theater, il condamne l’engagement militaire au Vietnam. Plus tard il sera l’un des rares citoyens américains à critiquer la première invasion en Irak. Sa chanson Get Drafted sera interdite de distribution car elle appelle à la désobéissance militaire. Zappa est l’un des premiers à alerter les États-Unis sur la question de l’environnement. Il composera, sur ce sujet, de nombreux tracks instrumentaux. Seul le titre parle. Ces chansons-là sont muettes d’indignation. Il s’attaque, dès la fin des années 1970, à la corruption des milieux républicains et démocrates, dévoile ensuite les entourloupes de la scientologie, de la secte Moon et des télévangélistes. Au milieu des années 1980, il est à la tête du combat contre la censure visant le rock et le rap.

Un citoyen d’exception

La plupart des albums de Zappa sont interdits de diffusion sur les ondes radio. Zappa le freak qui estimait, en 1967, que le phénomène hippie était une récré avant le retour à la norme, avait annoncé dans un album des plus subversifs (We’re Only In It For The Money) que Richard Nixon envisageait l’utilisation des camps ayant servi à l’internement des Japonais durant la seconde guerre mondiale comme camps de concentration pour résoudre, une fois pour toutes, le problème anticonformiste.
Frank Zappa passe de plus en plus à la télévision afin de faire campagne (à ses frais) contre les ligues de vertu et les évangélistes qui veulent puritaniser le rock. C’est l’affaire du Porn Rock. Des ligues vertueuses associées au PMRC (de l’épouse d’Al Gore) et à l’industrie discographique cherchent en effet à imposer, dès 1985, le labeling, c’est-à-dire des étiquettes qualifiant à la vente les disques marqués V (pour violence), D (pour drogue), X (pour sexe)... Dès lors, Zappa devient le chef de file de la contre-culture passé à l’action politique. Il envisage sérieusement de se présenter à la candidature pour les présidentielles de 1992, contre les républicains, les naughty democrats et les représentants de la nouvelle droite religieuse. Il avait été approché en 1988 par les libertariens pour représenter le Libertarian Party et il fut tout près d’accepter. Il renonçe à cet engagement après avoir constaté que ces derniers étaient favorables au port et à l’usage des armes à feu.
Frank Zappa était bien un citoyen d’exception (à la règle !). Cette figure corrosive a souvent évoqué Groucho Marx mais il serait plus juste de le comparer à Lenny Bruce, à Henry Thoreau (l’auteur de la Désobéissance civile), à Dave Marsh et Eric Nuzum (deux activistes anti-censure). Il est urgent de rappeler l’importance, tant musicale que politique, du plus génialement subversif des compositeurs américains. L’en-semble de ses engagements est rapporté dans le dernier ouvrage de Guy Darol : Frank Zappa ou l’Amérique en déshabillé (Le Castor Astral éditeur, 2003).

Asparagus