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Le Manifeste - N° 2 - Décembre 2003
Karl Marx et la religion
Marx fait une analyse de la religion dans son texte
Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel. Nous en donnons
un passage.
Le fondement de la critique irréligieuse est : c’est l’homme qui fait la
religion, ce n’est pas la religion qui fait l’homme. C’est-à-dire que la
religion est la conscience de soi et du sentiment de soi qu’à l’homme qui ne
s’est pas encore atteint lui-même, ou bien s’est déjà reperdu. Mais l’homme, ce
n’est pas une essence abstraite blottie quelque part dans le monde. L’homme,
c’est le monde de l’homme, l’État, la société. Cet État, cette société
produisent la religion, conscience inversée du monde, parce qu’ils sont
eux-mêmes un monde à l’envers. La religion est la théorie universelle de ce
monde, sa somme encyclopédique, sa logique sous forme populaire, son point
d’honneur spiritualiste, son enthousiasme, sa sanction morale, son complément
solennel, le fondement universel de sa consolation et de sa justification. Elle
est la réalisation fantasmagorique de l’essence humaine, parce que l’essence
humaine ne possède pas de réalité véritable. Lutter contre la religion, c’est
donc indirectement lutter contre le monde dont la religion est l’arôme
spirituel.
La détresse religieuse est, pour une part, l’expression de la détresse réelle
et, pour une autre, la protestation contre la détresse réelle. La religion est
le soupir de la créature opprimée, la chaleur d’un monde sans cœur, comme elle
est l’esprit de conditions sociales d’où l’esprit est exclu. Elle est l’opium du
peuple.
Abolir la religion en tant que bonheur illusoire du peuple, c’est exiger son
bonheur réel. Exiger qu’il renonce aux illusions sur sa situation, c’est exiger
qu’il renonce à une situation qui a besoin d’illusions. La critique de la
religion est donc en germe la critique de cette vallée de larmes dont la
religion est l’auréole.
La critique a dépouillé les chaînes des fleurs imaginaires qui les recouvraient,
non pour que l’homme porte des chaînes sans fantaisie, désespérantes, mais pour
qu’il rejette les chaînes et cueille la fleur vivante. La critique de la
religion détruit les illusions de l’homme pour qu’il pense, agisse, façonne sa
réalité comme un homme désillusionné parvenu à l’âge de la raison, pour qu’il
gravite autour de lui-même, c’est-à-dire de son soleil réel. La religion n’est
que le soleil illusoire qui gravite autour de l’homme tant que l’homme ne
gravite pas autour de lui-même.