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Le Manifeste - N° 2 - Décembre 2003
Entretien avec Guénadi Ziouganov
Guénadi Ziouganov est Président du comité central du Parti communiste de la Fédération de Russie (PCFR). Dans le cadre de l’anniversaire du centenaire du Parti social-démocrate des travailleurs de Russie (PSDTR)-PCFR, Guénadi Ziouganov a répondu à nos questions.
Il se dit, dans la presse, que le Parti communiste
pourrait changer d’appellation. Qu’en est-il ?
G. Z. : La social-démocratie de Russie a connu un long parcours. Les
étapes-clés de son développement ont parfois exigé des changements
d’appellation, qui correspondaient à des périodes historiques données.
Dernièrement, une idée a de nouveau surgi, selon laquelle il faudrait changer le
nom du Parti communiste en Parti social-démocrate, selon l’exemple de quelques
ex-partis au pouvoir dans les pays d’Europe Orientale.
Nous, nous considérons que le sens du Parti est déterminé non par son
appellation, mais par son programme et par ses moyens d’action. Le Parti est né
lors du 2e congrès sous le nom de Parti ouvrier social-démocrate de Russie (PSDTR).
Puis il a changé son nom en PSDTR-B (Bolche-vik), puis en Parti communiste de
Russie - Bolchevik (PCR-B), ensuite en Parti communiste d’Union Soviétique
(PCUS). Aujourd’hui, il se nomme Parti communiste de la Fédération de Russie (PCFR).
Le changement d’appellation a une importance primordiale et concerne chaque
membre du Parti. Si un jour cette question se pose à nouveau, le Parti prendra
une décision. Aujourd’hui, nous n’avons pas ce problème. La question n’est
soulevée ni par nos cadres, ni par les membres actifs, ni par la masse des
adhérents, ni par les sympathisants, ni par la société en général.
En quoi les communistes diffèrent-ils des sociaux-démocrates ?
G. Z. : Les communistes et les sociaux-démocrates sont issus d’une même
racine et se sont séparés dans les années 20 du XXe siècle. De là viennent de
nombreuses valeurs communes. La plus importante est l’idéal de justice sociale.
Cependant aujourd’hui, les définitions de cet idéal chez les communistes et les
sociaux-démocrates diffèrent singulièrement.
Les communistes ont comme objectif la conquête pratique de la justice sociale,
alors que les sociaux-démocrates exercent en général des fonctions de médiation
entre les propriétaires et les salariés. Les contradictions du capitalisme entre
le travail et le capital sont les conditions naturelles dans lesquelles existe
la social-démocratie moderne. Pour elle, le socialisme est un but pratiquement
inatteignable.
Durant les 80 dernières années, la social-démocratie occidentale a survécu à de
nombreux zigzags historiques. Elle s’est éloignée de l’idéal initial dans une
déviation lente mais constante vers la droite jusqu’au ralliement au champ
idéologique libéral.
La social-démocratie européenne subit actuellement une crise d’identité, due à
la perte de son propre sens. Ce n’est pas pour rien qu’il existe une polémique
suffisamment aigüe entre les leaders socialistes des pays latins,
traditionnellement plus à gauche, et les travaillistes anglais et les
sociaux-démocrates allemands, plus ancrés à droite.
Une lutte identique a lieu parmi les forces de la société russe. Elles se
définissent comme de gauche, socialistes, patriotes. Et ici, il est très
important de comprendre qui est qui.
Le régime actuel en Russie essaye-t-il de cultiver les minorités dans les
rangs du PCRF ?
G. Z. : L’expérience centenaire du PSDTR-PCFR permet au Parti de résister
avec succès aux tentatives du régime de le pousser vers le menchévisme et le
réformisme. Tout comme les Bolcheviques, qui se sont groupés en un puissant
mouvement historique lors d’un combat idéologique aigu au 2e congres du PSDTR,
nous luttons contre les tendances petites-bourgeoises dans notre Parti, contre
les groupements et rassemblements qui affaiblissent nos rangs.
Aujourd’hui même, le menchévisme essaye de renaître, d’orienter le Parti vers le
réformisme, dans un océan de discussions vides, dans le gouffre des ambitions
personnelles. Et c’est justement l’expérience du PSDTR-PCFR, les positions
solides des membres actuels du Parti, l’unité de sa direction, qui nous
permettent de résister à une telle menace.
La crise de la social-démocratie européenne existe-t-elle ?
G. Z. : Actuellement, on introduit dans l’opinion publique un cliché : « Le
futur, c’est la social-démocratie ». Le secret de cette formule réside dans
l’aspiration de nombreuses personnes d’adopter une position intermédiaire entre
le capitalisme sauvage et une économie fortement planifiée. Les doctrines de la
social-démocratie sont présentées comme la possibilité de réunir les cotés
positifs des deux systèmes ou, au moins, d’adoucir leurs particularités
négatives.
Est-ce bien vrai ? Une telle analyse correspond-elle aux réalités de la Russie
et du monde ? L’expérience des dernières décennies témoigne que les tentatives
de lier le marché libre à de larges garanties sociales subissent une crise
sérieuse.
Tous les partis de centre-gauche au pouvoir dans la zone euro, sous les
contraintes d’un budget strict conditionné par la monnaie commune, mènent
aujourd’hui une politique qui est loin d’être socialiste. Elle n’est même pas
sociale, mais ouvertement conservatrice. En Angleterre, par exemple, Tony Blair
s’est tellement engagé sur le terrain du conservatisme classique, que les tories
ne savent tout simplement pas comment marquer leur différence avec les
travaillistes.
La social-démocratie européenne change également de stratégie politique et
économique, lentement mais sûrement. Commence à apparaître l’idée qu’il est
nécessaire de changer de modèle social (pour l’élaboration duquel ils ont engagé
tant d’efforts précédemment). Le résultat, c’est que les « gauches » sont
devenues des « droites ».
Le processus, commun à toute l’Europe, que l’on appelle « dérégulation »,
consiste à libéraliser l’économie et à amputer sérieusement les garanties
sociales. Ce principe devient le drapeau des « gauches » européennes ac-tuelles.
Les socialistes européens glissent vers le libéralisme le plus ordinaire, en le
camouflant derrière quelques proclamations sociales. Ce n’est pas notre voie.
Qu’est-ce qui se cache derrière les beaux appels à la social-démocratisation
du PCFR ?
G. Z. : Nous n’avons pas oublié que le Parti communiste et le système
socialiste mondial ont été détruits justement avec les slogans de la
social-démocratisation gorbatchevo-iacovliennes. La restauration du capitalisme
de bandits, qui a rejeté la Russie cent ans en arrière, est survenue ensuite.
C’est pour cette raison que le Parti, qui défend les idéaux du socialisme et de
la justice sociale, n’aurait pas de meilleur moyen de se discréditer que de
suivre le conseil de quelques experts en grossissant les rangs des organisations
libérales avec une éthique social-démocrate.
Les communistes vont beaucoup plus loin
Aujourd’hui, le PCFR est beaucoup plus près des principes et
des idées sur lesquels le mouvement de gauche est né et s’est développé, que les
sociaux-démocrates d’Europe. Les communistes vont beaucoup plus loin que les
sociaux-démocrates actuels. Les
communistes conservent tout ce qui a réellement de la valeur dans le bagage de
la social-démocratie, plus pas mal de choses que les sociaux-démocrates n’ont
pas.
Aujourd’hui, nous fêtons les cent ans du PSDTR-PCFR. Il suffit de se rappeler
les problèmes discutés lors du 2e congrès et de les comparer aux positions de
notre Parti pour comprendre clairement qui est l’héritier de la tradition
social-démocrate léniniste de Russie.
C’est nous qui réclamons la défense des droits des salariés, une vraie politique
sociale, une politique de revenus et l’augmentation du niveau de vie des
citoyens. C’est bien nous qui exigeons la nationalisation des secteurs-clés de
notre économie. Sans cela, aucun projet et aucun programme, si merveilleux
soient-ils, ne pourront se réaliser. Si le budget est misérable, on ne peut par
définition rien attendre de bien, même si l’on essaye de le répartir autrement.
C’est bien nous qui sommes contre la vente des forêts et des espaces agricoles.
Nous luttons contre le pillage des logements. Nous défendons les intérêts
fondamentaux des couches les plus pauvres de la société russe, qui constituent
80 % de la population. Nous soulevons la question de l’enseignement et de la
médecine gratuite, de la journée de travail de 8 heures, des congés payés. Ce
sont les positions de principe de la social-démocratie classique. Et dans la
Russie actuelle, personne mis à part le PCFR ne défend ces positions en tant que
système de valeurs. C’est le programme minimum du PSDTR-PCFR pour le XXIe
siècle.
La social-démocratisation entraînerait une autre conséquence, un danger de perte
d’indépendance pour la Russie. D’abord, vous vous faites appeler
social-démocrate et vous prêtez serment à l’Internationale socialiste. Puis,
vous renoncez à votre souveraineté et vous adoptez le système de valeurs
occidental. Ensuite, vous exécuterez les directives des organisations
internationales, c’est-à-dire occidentales. Ce parcours est bien connu. Nous
nous rappelons très bien comment les gouvernements sociaux-démocrates de France,
d’Allemagne, de Grande-Bretagne ont bombardé la Yougoslavie, avec leur « grand
frère », les états-Unis. Non, la soi-disant solidarité atlantique n’est pas
notre choix. Nous défendons le principe d’une politique extérieure indépendante.
Nous n’avons pas besoin d’un diktat de l’extérieur.
Le PCFR, tout comme le PSDTR depuis son 2e congrès, a toujours apporté, apporte
et apportera dans les masses travailleuses la conscience socialiste. En plus, il
y joint la conscience patriotique, anti-mondialiste, anti-impérialiste et de
libération nationale.
C’est pour cela que nous ne voyons aucune raison de changer le nom de notre
Parti. Le PCFR actuel est imprégné du meilleur du mouvement communiste, de
l’expérience des sociaux-démocrates, des socialistes et des mouvements de
libération nationale.
Notre parti a avancé et avancera sur sa propre voie. La « niche »
social-démocrate dans notre pays est solidement occupée par le PCFR. En Russie,
nous avons nos « gauches » : ce sont les communistes.
Service de presse du CC PCFR
Traduction A.K.F. / C.A.