décrétons le salut commun

Le Manifeste - N° 2 - Décembre 2003

 

Un parti européen
Pour quoi faire ?

Depuis plusieurs mois, des partis communistes et progressistes des pays d’Europe se réunissent avec l’objectif déclaré de créer une « force progressiste européenne », voire « un parti de la gauche européenne », comme l’a précisé Fausto Bertinotti, secrétaire général de Rifondazione communista, dans une interview au journal allemand Junge Welt.

Le projet de constitution d’une « force progressiste européenne » ne va pas sans poser de questions. Derrière les grandes déclarations sur « l’objectif de fournir des réponses politiques au capitalisme et d’être porteurs de l’idée d’une autre Europe », n’est-ce pas tout simplement la volonté de répondre à la demande des institutions européennes qui prônent la création de « partis politiques européens » ? Avec le risque d’en faire un carcan pour les partis nationaux en s’inscrivant dans le moule établi par le Traité européen en échange de quelques subsides !

Contraintes et contrôles

L’article 191 du Traité actuel précise : « Les partis politiques au niveau européen sont importants en tant que facteurs d’intégration au sein de l’Union. Ils contribuent à la formation d’une conscience européenne et à l’expression politique des citoyens ». Les termes utilisés correspondent à la conception d’une Europe fédérale. On est loin de la dé-finition des partis politiques dans la Constitution française : « Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie ».
Pour bénéficier des fonds européens (un pactole annuel de 8,5 millions d’€), les « partis politiques européens » doivent respecter certaines conditions concernant leur statut et leur financement. Celles-ci ont été précisées par un règlement conjoint du Conseil et du Parlement européen qui s’appliquera aussitôt après les élections européennes de 2004. Première condition : les partis politiques au niveau européen doivent respecter « les principes sur lesquels l’Union européenne est fondée, repris par les traités et qui ont été reconnus par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ». Ils doivent disposer d’une personnalité juridique et être représentés dans au moins un quart des États membres ou y recueillir au moins 3 % des voix. Ils seront sous le contrôle direct du Parlement européen. « À la demande d’un quart de ses membres, représentant trois groupes politiques », il peut constater qu’une des conditions n’est plus remplie par un parti européen, ce qui entraîne son exclusion du financement européen. C’est encore le Parlement européen qui devra vérifier la transparence des sources de financement. L’affirmation de ces principes n’empêche pas l’autorisation des dons anonymes jusqu’à 500 € et des dons jusqu’à 12 000 € par an provenant aussi bien des personnes physiques que des entreprises mais avec interdiction des dons de la part d’entreprises publiques. En France, depuis 1995, la loi interdit totalement toute participation directe ou indirecte des entreprises au financement des partis et des campagnes.
Le financement communautaire peut contribuer jusqu’à 75 % du budget d’un parti politique européen. La clé de répartition de la dotation glo-bale est la suivante : 15 % en parts égales, 85 % entre ceux qui ont des élus au Parlement européen proportionnellement au nombre d’élus.

Souveraineté et démocratie

Le statut n’aborde pas la question, mais un des objectifs des promoteurs des partis politiques européens est de pouvoir présenter, aux élections européennes de 2009, des listes transnationales de candidats ou au moins un pourcen-tage obligatoire de candidats transnationaux sur les listes européennes.
Le respect des conditions pour bénéficier d’un financement européen fait courir le risque de calquer le fonctionnement de cette structure politique européenne sur le fédéralisme de l’Union européenne. La coalition progressiste d’Espa-gne Izquierda Unida (dont fait partie le Parti communiste) s’est inscrite dans cette démarche. Par contre, les partis communistes grec et portugais ont jugé négativement l’institutionnalisation de partis européens et appelé les partis communistes, les forces progressistes et les travailleurs du monde à renforcer leur coopération et leur solidarité dans le respect des principes d’égalité et de non ingérence.
La création d’une « force progressiste européenne » est conçue comme « un démultiplicateur de l’action, une force pour peser sur le cours des choses en Europe ». Comment cette structure pourrait-elle peser quand tous ses membres ne sont même pas d’accord entre eux sur le projet de Constitution européenne ? Comment cette structure pourrait-elle défendre une plate-forme commune en vue des élections européennes alors que le PDS allemand a adopté le 26 octobre un nouveau programme qui reconnaît les principes de l’économie de marché en estimant que « l’entreprise privée et le profit » constituent des « facteurs de développement et d’innovation » ?

Coopération et solidarité internationales

Un dossier complexe qui nécessite un examen approfondi et contradictoire au-delà des grandes déclarations.
Avant de créer artificiellement une structure, limitée de surcroît à la dimension européenne, ne serait-il pas plus utile et efficace de renforcer la coopération et la solidarité, de multiplier les échanges d’expériences entre partis et forces progressistes avec l’objectif d’approfondir les analyses sur le capitalisme et de préparer des alternatives, de contribuer au développement des luttes et des mobilisations dans le monde entier sans les limiter à la dimension européenne ?

Jean-Paul Le Marec