debout les damnés de la terre

Le Manifeste - N° 2 - Décembre 2003

 

Etats généraux du spectacle
Intermittents, la lutte continue...

Entretien avec Jean Voirin
Secrétaire national de la Fédération Nationale des Syndicats du Spectacle, de l’Audiovisuel et de l’Action Culturelle CGT


Qu’est-ce que l’accord signé le 26 juin change à la situation actuelle des intermittents ?
Jean Voirin :
Intermittent n’est pas un statut social. C’est un mode d’exercice professionnel basé sur des contrats à durée déterminée pour un objet précis. Cela recouvre des artistes de toutes disciplines, musiciens, comédiens, danseurs, artistes lyriques, artistes de cirque, réalisateurs, metteurs en scène, techniciens, ouvriers. Les intermittents en France sont environ 120 000. Sur les 120 000 intermittents, 60 000 à 70 000 touchent une indemnité chômage au titre des annexes cinéma-spectacle. Actuellement 40 à 45 % des intermittents n’accèdent pas en année pleine à l’indemnisation chômage (il faut 507 heures de travail au cours des 12 derniers mois.)
L’accord du 26 juin a été signé par le MEDEF et trois centrales syndicales CFDT, CFTC et CGC. Ces trois centrales syndicales sont minoritaires dans les professions du spectacle. Courant juillet, les signataires ont changé les textes. Ce qui est une violation des règles les plus élémentaires en matière de négociation collective. Fillon a donné l’agrément le 6 août. C’est une première dans ce pays. On peut constater que le dialogue social s’enrichit ! Puis les signataires ont pris l’initiative de nous convoquer à une réunion dont le seul objet était de re-signer les mêmes textes. Le 13 novembre, ils ont donc re-signé ces textes, envoyé une lettre à Fillon pour lui demander de retirer l’agrément du 6 août et d’agréer de nouveau ces textes qui sont toujours les mêmes ! C’est complètement fou.
Cet accord permettrait d’exclure de l’assurance-chômage environ un tiers des indemnisés actuels. Dans le même temps, les employeurs ne sont pas mis à contribution. Par ailleurs, aucune disposition n’a été prise concernant les violations des dispositions du Code du travail sur les recours à l’intermittence de l’emploi, fréquente dans nos secteurs d’activité. 30 % des allocataires actuels vont perdre tous leurs droits, plus particulièrement ceux qui touchent en moyenne 15 euros par jour. Ce ne sont pas exactement des riches et des privilégiés comme Monsieur Seillière a pris l’habitude de le dire, mais des gens qui sont en situation de précarité.
Le MEDEF et la CFDT veulent le nouvel agrément des textes avant que le Conseil d’état se réunisse ; ils veulent éviter une condamnation publique. C’est quand même assez succulent ! Mais nous amenons la preuve qu’il y a eu substitution de textes, pour reprendre le terme juridique, entre les seuls signataires.

Cette lutte des Intermittents apparaît comme exemplaire dans le contexte social actuel…
JV :
C’est un mouvement qui remporte en effet une forte adhésion dans l’opinion publique.
Il est exemplaire à plus d’un titre. Cela fait 5 mois que les intermittents se battent de façon ininterrompue. Il y a eu des mouvements de grève comme on n’en a jamais connu dans nos métiers, pas même à la Libération. Courant juin à Paris 35 000 professionnels ont défilé dans la rue : 2 professionnels sur 3 ! Si demain 2/3 des salariés descendaient dans la rue, Raffarin, n’aurait plus qu’à partir.
On a décidé de continuer. Nous sommes dans une situation de légitime défense, et on ne s’interdit rien.

Vous préparez des Assises de la Culture ?
JV :
J.J Aillagon veut déplacer le centre de gravité (sans jeu de mot) de la contestation. Il veut organiser des états généraux du spectacle vivant. On boycotte ses états généraux.
Mais il y a effectivement un problème de politique culturelle. Nous proposons d’organiser non pas des états généraux du spectacle vivant, mais de vraies Assises pour la culture. Et de le faire avec toutes les forces sociales concernées, la culture c’est beaucoup plus vaste que le seul spectacle vivant. Elle recouvre toutes sortes de disciplines… Dans un premier temps on va tenir des assises régionales, puis les décliner au niveau national et faire des propositions aux députés et aux sénateurs. On saisira le Parlement d’ici l’été. On veut une véritable loi d’orientation.


Entretien avec Dominique Collignon Maurin
Comédien et syndicaliste
Dominique Collignon Maurin fait partie des intermittents qui ont occupé le plateau de StarAc’

Au niveau du fait divers, je n’ai rien à dire. J’ai plutôt envie d’une conversation de fond.
Je suis très inquiet de la mise en sectorisation de la société, de cette individualité poussée à l’extrême jusqu’à la non-vie. Et c’est nous-même qui nous l’infligeons à cause d’une philosophie de l’individualisme. Une forme de capitalisme qui n’a comme seule opposition que le travail. Il n’y a pas de main invisible. Pas de démiurge. C’est ensemble que l’on décide d’accepter ou pas.
Aujourd’hui la CFDT a l’air de perdre en laissant partir les cheminots à la CGT. Elle semble se désintéresser de la situation. Pourquoi ? Il y a plusieurs raisons. Aujourd’hui, il y a une externalisation d’un certain type de main d’œuvre et de travail. La CFDT va re-syndicaliser dans les dix ou vingt ans qui viennent, parce que la CGT n’aura pas été capable d’intégrer la discontinuité du travail, la polyvalence, la flexibilité. Dans son combat, elle est toujours dans ce rapport du temps de travail, de la force du travail. Or il y a toute une participation qui n’est pas basée sur la force de travail, qui est calculée sur le travail immatériel : ce que les gens gagnent avec le téléphone portable, ce que les multinationales de téléphonie mobile gagnent sur nos conversations, ce que les groupes informatiques gagnent sur l’emploi de Internet, la publicité… Cela augmente le PIB. à Aix en Provence, les cafetiers, les restaurateurs nous attaquent. Ils nous attaquent pourquoi ? Ils font le constat que finalement nous participons pour 30% de leur chiffre d’affaire. Mais alors, comment se fait-il que nous ne recevions pas plus, que nous ne participions pas plus du PIB ? Pourquoi dans notre relation à l’enrichissement du produit intérieur brut de la France, les métiers du spectacle vivant ne soient pas plus considérés comme source d’enrichissement ?
J’ai constaté que très peu de syndiqués étaient militants. Dans mon syndicat, on est à peu près 10 % de militants. On est dans des situations rocambolesques : il n’y a pas de militants, de plus en plus de non-syndiqués dans la militance, et puis il y a tous ceux qui ont pris leur carte et qui légitiment certaines directions qui ne correspondent pas à ce que souhaitent les militants.

Les vrais militants sont dehors

Les vrais militants sont dehors. C’est ce qui se passe dans les coordinations qui regroupent des gens qui sont dans la précarité depuis très longtemps, qui vivent des minima sociaux et qui posent la question de la solidarité avec les chômeurs. Et les copains ne sont pas d’accord. Parce qu’ils sont avant tout comédiens, metteurs en scène, musiciens, techniciens, mais pas chômeurs. Même s’ils travaillent par intermittence. Ils tiennent au statut spécifique de leur métier. Les gens d’AC veulent s’associer au mouvement des intermittents. D’autres ne veulent pas mélanger. On peut comprendre les deux aspects. Il faut donc réfléchir au salariat et à la protection sociale. Quel salariat aujourd’hui ? Quelle protection sociale, de quelle façon la protection sociale peut être financée ? Est-ce qu’elle est finançable uniquement par les cotisations ? Est-ce qu’elle peut être financée par la fiscalité ?
On est à la fois dans la lutte, et à la fois dans des contradictions, et dans l’obscurité.

Réalisés par
Marie-Catherine Andreani