NOUS NE SOMMES RIEN SOYONS TOUT |
Le Manifeste - N° 1 - Novembre 2003
Mon frère Sergio Ortega
J’avais travaillé avec lui pour deux des opéras qu’il avait
composés à l’occasion du bi-centenaire de la Révolution française. Au premier
jour, j’étais intimidé par ce gaillard à la tête d’aigle et à la silhouette
d’hidalgo, venu du bout du monde, tout auréolé de la Révolution chilienne, du
rôle éminent qu’y avait joué sa musique et du malheur que traversaient son pays
et ses enfants. Au deuxième jour, Sergio était mon frère et je n’arrivais pas à
comprendre comment j’avais pu, ne serait-ce qu’une seconde, être intimidé par
lui
C’est que Sergio qui était un peu plus jeune que moi avait cette étrange vertu
que j’ai rencontrée chez un certain nombre de vieux communistes : il avait le
don de la fraternité, c’est-à-dire qu’il n’y avait pas besoin de prendre des
précautions de l’un à l’autre pour dire franchement et d’expliquer ce que l’on
pensait, par exemple des propositions faites au cours d’un travail commun.
Je ne saurais dire si Sergio était un musicien communiste ou un communiste
musicien parce que, pour lui communisme et musique étaient une seule et même
passion. Il ne se penchait pas sur le peuple pour lui faire, avec un rien de
mépris, une musique à sa mesure. De la flûte essoufflée des Andes aux savants
calculs du dodécaphonisme, il voulait que le peuple puisse jouir de toute la
musique.
Excusez-moi, je ne sais pas faire les éloges funèbres. Ce soir, j’ai du chagrin
parce que je ne verrai, je n’entendrai plus jamais Sergio. J’aimerais pouvoir
croire qu’après ma mort, dans un coin du Paradis ou d’ailleurs, nous nous
rencontrerons à nouveau, mais ce ne serait là qu’un mensonge et un mensonge,
même joli et compassionnel, ne saurait consoler.
B-G L