LE GENRE HUMAIN

Le Manifeste - N° 1 - Novembre 2003

 

Le marché de la sécurité

Depuis l’arrivée de la droite au pouvoir, les mesures sécuritaires ne cessent d’occuper le devant de la scène. Sarkozy en est présenté comme le superman. Cette politique est dangereuse. La lutte des clas-ses passe aussi par là.

La question de la sécurité s’est invitée bruyamment dans le débat pu-blic, lors des élections présidentielles de 2002. A cela des raisons réelles : la montée de la délinquance, la dégradation du tissu social dans les villes de banlieue, l’émergence des communautarismes contre les solidarités, la montée en puissance d’économies souterraines structurées, le délitement des relations humaines.
Force est de dire que la gauche et le gouvernement Jospin n’ont pas vu – ou pas voulu voir – ces réalités. Il ne suffisait pas de répéter que l’aggravation de la délinquance concernait seulement quelques points chauds ou de déplorer que les Français sombrent dans le fantasme sécuritaire. S’en prendre aux médias, sous prétexte qu’ils montraient trop largement ces réalités, s’est avéré non moins contre-productif. La mémoire du 21 avril demeure une piqûre de rappel. A quelques exceptions locales près, aucune réponse de gauche à l’ensemble des questions de sécurité n’a véritablement été recherchée.

Fragile de la terre, prenez nos coups !

La droite a eu beau jeu d’en faire son cheval de bataille. Sitôt la victoire emportée, elle a su mettre en œuvre des réponses de droite. Depuis lors, Nicolas Sarkozy répète à l’envi un même scénario, aussi efficace qu’une série télévisée américaine : Je prends en compte les vrais problèmes des gens. J’agis sans états d’âme et mets en œuvre les mesures qui s’imposent. De la politique réalité avant l’heure ! C’est le cours de la vie qui édicte leurs choix aux politiques en dehors de toute considération idéologique ! La gauche en est restée bouche bée avant de s’adonner à un subtil double jeu. Dans le général, on tonne contre cette droite sécuritaire. Dans le concret, on se garde bien de mettre en cause ses décisions, quand on ne les approuve pas en catimini. Cherchez les hommes politiques qui cartonnent contre Sarkozy !
Pourtant sa politique est grave, dangereuse, liberticide. Elle plonge quelques racines dans le terreau puant du Front national. Elle s’appuie sur trois piliers qui ont fait leur preuve : suspicion, exclusion, répression. Elle montre son ennemi dans une lumière aussi crue que celle qu’on projette à la face d’un accusé dans un commissariat : les pauvres, les gens de peu, par opposition à ceux qui ont du bien. La loi sur la sécurité intérieure adoptée au début de l’année égrène, article après article, la liste de ceux que l’on met au ban : les prostitués, les mendiants, les gens du voyage, les marchands ambulants, les immigrés… Fragiles de la terre, prenez nos coups !
La loi sur l’immigration qui vient d’être adoptée est une loi scélérate qui bafoue la culture nationale française et ses traditions hospitalières. Seuls les nantis trouvent grâce aux yeux des parlementaires de droite qui n’hésitent pas à en rajouter sur les projets du gouvernement. Dira-t-on que le ministre de l’intérieur ne manque pas une occasion pour proclamer que les gros bonnets sont aussi dans le collimateur ? La loi sur la sécurité financière, qui devait moraliser les marchés et protéger les petits épargnants, est de ce point de vue un véritable fiasco. Les magouilleurs de tous ordres peuvent continuer de margouliner tout leur soul. Aucun filet ne viendra les pêcher dans les eaux où ils sévissent.
Quant au fond, ce n’est pas l’objectif d’un gouvernement de droite d’assurer la tranquillité publique. Seule la sécurité de la propriété privée et des avoirs financiers lui importe. Tout au plus cherche-t-il à canaliser l’expression du mal être, laissant au capital le soin de tirer quelques profits du marché de la sécurité. La gauche devrait se trouver en position forte sur ces pro-blèmes. Encore faut-il, là comme ailleurs, s’attaquer franchement aux effets dévastateurs d’un capitalisme qui se nourrit de la violence et encourage la loi de la jungle, aussi bien en France que dans le monde. Il est temps pour les forces révolutionnaires de retrouver un esprit conquérant.

Jules Kerros