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Le Manifeste - N° 1 - Novembre 2003
Constitution européenne
Un référendum pour dire non
Après les Traités de Maastricht,
Amsterdam et Nice, les gouvernements des pays de l’Union européenne veulent
pousser les feux de l’intégration européenne avec un projet de Constitution
d’une Europe fédérale.
Prenant en compte l’importance des enjeux économiques, sociaux, démocratiques de
ce projet, Le Manifeste contribue au débat jusqu’à l’obtention d’un référendum
(souhaité par 74 % des Français) pour que les citoyens puissent décider en toute
clarté et en toute connaissance de cause.
Du bon usage de la nation
Au soir du dimanche 14 septembre, on faisait grise mine dans les
salons de Bruxelles à la banque de Francfort, et les politologues patentés du
Figaro et de Libération jouaient les pleureuses : plus de 56 % des électeurs
suédois avaient eu l’audace de dire non à l’euro ! Le lendemain, ils s’indi-gnaient
et s’étonnaient encore de ces lourdauds nordiques. Dans ce concept « européen »,
on trouvait même l’éditoria-liste de L’Humanité, s’évertuant à démontrer que la
gifle de Stockholm n’était en rien un Non à « l’Europe élargie », mais un simple
désir de l’orienter plus à gauche. Le vieux rêve « euroconstructeur » est
toujours en vigueur à la direction du PCF, comme si l’Europe supranationale
dirigée par les capitalistes, qu’ils soient de droite ou so-ciaux-démocrates,
pouvait être autre chose qu’un renforcement de l’exploitation des salariés
d’Europe.
Alors, « nationalistes », les Suédois qui ont dit non ? Sûrement pas, même si
certains électeurs réticents à l’euro sont des xénophobes. La majorité d’entre
eux a tout simplement refusé la disparition d’une monnaie nationale contrôlée
par les élus du peuple. Ils ont ainsi affirmé leur attachement à une société
façonnée par deux siècles de luttes ouvrières. Chirac ne s’est pas risqué à
consulter les électeurs français sur l’euro car il a craint ce même camouflet.
Les salariés français tiennent aussi à leur nation, pour les mêmes raisons.
Cimentée il y a plus de deux siècles par la Révolution de 1789, elle a réuni des
peuples divers de langues, de cultures, dans la volonté commune de défendre
l’égalité entre les citoyens contre les privilégiés.
Lutte après lutte, conquête après conquête, cette nation française s’est
enrichie d’acquis sociaux et civiques. Tout ce que les tenants du capita-lisme
« libéral », de droite ou socialistes, s’efforcent de détruire aujourd’hui. La
bourgeoisie française est aujourd’hui majoritairement contre la nation, et elle
se sert de l’Europe supranationale. Ceux qui, en France, vivent de leur travail
ont tout intérêt à défendre la nation française contre le capitalisme
« mondialiste ».
Cette défense de la nation, des conquêtes populaires qu’elle contient, ne fait
pas de nous des nationalistes. Les mouvements révolutionnaires, communistes,
sont totalement étrangers aux nationalismes. Il peut arriver que tel ou tel
nationaliste, un Le Pen, un Pasqua, un souverainiste français, ou un
nationaliste corse ou basque, rejoigne à l’occasion l’une de nos conclusions. Ce
n’est pas pour les mêmes raisons. Ils restent des ennemis politiques,
réactionnaires au sens premier du terme. Notre attachement à la nation, réalité
de progrès rejoint le propos de Jaurès : « Un peu d’internationalisme nous
éloigne de la patrie, beaucoup d’internationalisme nous y ramène ».
Francis Arzalier
Briser le carcan
L’arbre des institutions sert à cacher la forêt des lois
économiques et financières ultra-libérales que la future « Constitution » veut
rendre obligatoires et immuables en faisant fi de la souveraineté nationale et
du droit des peuples.
L’objectif essentiel du projet de « Constitution » est de verrouiller les
velléités d’indépendance des nations, de les soumettre aux règles du capital et
de briser tout espoir d’un changement possible de société et de la construction
d’une alternative au capita-lisme. En ce sens, c’est un projet totalitaire.
Le cœur du Traité de Maastricht a été transformé en noyau dur de la «
Consti-tution » européenne qui impose aux États membres d’agir « dans le respect
du principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre ». Tout
deviendrait marchandise.
Dans ces conditions, comment pourrait-on encore faire croire que l’Union
européenne peut être un rempart contre la mondialisation capitaliste alors
qu’elle s’inscrit dans la même logique ? Le modèle de l’économie libé-rale
imposé par cette « Consti-tution » s’accompagne d’une régression des droits
sociaux, politiques et même civils, d’un éloignement des centres de décision des
citoyens, d’une remise en cause des acquis des luttes, et de la casse des
systèmes de protection sociale. Les gar-diens de cette « Constitution » sont
uniquement la Commis-sion européenne devenue un quasi-gouvernement avec des
pouvoirs renforcés pour « garantir l’intérêt général européen » et la Banque
centrale européenne indépendante, sans contre pouvoir, ni contrôle démocratique.
C’est la dépossession de toute indépendance politique au seul profit des marchés
financiers. Dans ces conditions, les constitutions nationales deviendraient de
simples règlements intérieurs sans portée réelle.
Pour appliquer ces méca-nismes contraignants, qui risquent d’entraîner une forte
opposition des peuples, la « Constitution » prévoit un renforcement de la
coordination européenne des polices et une politique commune de sécurité et de
défense « en étroite coopération avec l’Otan » dirigée par les États-Unis.
Les jeux ne sont pas faits. Il est possible d’enrayer l’engrenage fédéraliste et
de briser le carcan « constitutionnel ». Les peuples doivent être consultés par
référendum. Il faut rejeter toute « Constitution » européenne et ne pas jouer
aux « altereuropéïstes » qui prétendent construire une autre Europe à partir des
critères imposés par Maastricht. N’est-il pas temps d’élaborer un nouvel
internationalisme qui prenne de front la mondialisation capitaliste (y compris
dans sa dimension euro-péenne) et qui soit fondé sur la paix, la démocratie, la
solidarité et la coopération au service des peuples ?
Jean-Paul Le Marec
Le projet de constitution européenne est inacceptable
Des dizaines d’articles affirment et organisent le respect
primordial « du principe du marché ouvert où la concurrence est libre ». Ils
seraient dominés par la référence au développement durable ou à l’économie
sociale de marché ? Qui peut le croire ? Les proclamations de ce genre n’ont
rien pesé face à l’arsenal des stipulations qui fondent la primauté du marché et
« vertèbrent » l’actuelle construction européenne.
Ce projet est marqué par une caractéristique extrêmement grave. Nous avons ici
un texte qui va très loin dans la définition des orientations et des politiques.
On inscrit dans le marbre ce qui devrait être périodiquement l’enjeu de la
confrontation démocratique et ne pourra plus l’être. « Le marché unique où la
concurrence est libre et non faussée » apparaît dès l’article 3 : l’orientation
de la position européenne pour les négociations OMC et AGCS est donc fixée. Il
en est ainsi pour la coordination des politiques économiques, la politique
monétaire, les mouvements de capitaux, etc. Les textes qui ont permis
l’offensive contre les services publics sont maintenus. L’Union reste le dernier
bastion de l’orthodoxie monétariste par la définition de sa Banque centrale
européenne ; les États de la zone euro doivent renforcer la coordination de leur
discipline budgétaire (article III-88, nouveau), selon les critères « stupides »
de Maastricht. L’article 40 introduit une innovation majeure : « Les États
membres s’engagent à améliorer progressivement leurs capa-cités militaires » et
« Pour mettre en œuvre une coopération plus étroite en matière de défense
mutuelle, les États membres participant travailleront en étroite coopération
avec l’OTAN ».
Le projet est aussi mauvais sur le plan institutionnel. L’archi-tecture générale
du système reste la même et donc son caractère anti-démocratique. Il tient
fondamentalement à trois éléments : l’encadrement ser-ré de la décision publique
évoqué précédemment, le rôle central de la négociation entre gouvernements
difficiles à contrôler, la montée des structures technocratiques. L’Union
européenne est dotée d’un système extrêmement pervers. Son cœur est une
négociation totalement opa-que entre les gouvernements et la Commission. Elle
est aussi de plus en plus inefficace en raison de l’accroissement du nombre des
États membres. Le choix est alors entre l’impotence croissante et le transfert
de la décision vers des organes technocratiques, tels que la Banque centrale.
C’est ce système qui est confirmé par le projet de Consti-tution alors que
l’élargissement va le paralyser encore plus. Nous avons besoin d’une Europe
capable de peser dans un autre sens que la mondialisation capitaliste ; le
projet réaffirme un socle néo-libéral. Nous avons besoin d’une capacité d’action
européenne démocratiquement décidée ; il confirme un système opaque et gagné par
l’impuissance.
Yves Salesse
Auteur de Propositions pour une autre Europe
(Félin 1997)
et de Réformes et révolution (Agone 2001).
(Pour une analyse développée : voir Copernic Flash n° 5 :
http://www.fondation-copernic.org)
Une Union des Nations d’Europe pour leur coopération
Une constitution définit les buts et moyens d’un État. Et celle-ci, bien que se référant à la Charte des Nations Unies, qui proclame que ce sont les peuples qui, par leurs gouvernements, sont les membres de l’ONU, ne parle que d’« États-mem-bres »,qui « s’abstiennent de toutes mesures susceptibles de mettre en péril la sécurité des buts énoncés… et de toute action contraire aux intérêts de l’Union, ou susceptible de nuire à son efficacité…La Constitution et le Droit adoptés par les institutions de l’Union ont la primauté sur le droit des États-membres (qui) exercent leur compétence dans la mesure où l’Union n’a pas exercé la sienne » (en matière économique, d’emploi, de politique étrangère et de sécurité). Finie l’action de chaque peuple sur ses instances nationales pour empêcher ou imposer quoi que ce soit. Il faudra une action commune assez forte de tous les peuples d’Europe sur leur unique et lointain gouvernement (qui « examinera » les pétitions de plus d’un million de signatures !) et les notions d’Europe sociale ou citoyenne l’oublient. Pis, sous ce régime, fini le « Non » français sur l’Irak. Et surtout, selon la Charte d’Istambul de l’OSCE, la sécurité de tous les États d’Europe dépend de la bonne gouvernance de chacun, définie par l’économie de marché. En 1995, les fruitiers espagnols vitupéraient notre grève. Chirac propose une gendarmerie européenne. Demain l’État européen pourra nous envoyer ses sbires. Donc, NON à cette constitution, à la fois pour son contenu libéral et non-laïque, et pour ses transferts de pouvoirs. La concertation européenne de peuples maîtres de leurs affaires ne suppose pas une constitution qui les dessaisit, mais une Charte créant une Union des nations d’Europe pour leur coopération. Baroud d’honneur, tout étant joué ? Naguère les empires austro-hongrois et ottoman, puis les coloniaux, hier URSS, Yougoslavie et Tchécoslo-vaquie ont implosé. Pourquoi ceci n’imploserait-il pas avant d’exister ?
Roland Weyl