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Le Manifeste - N° 1 - Novembre 2003
Le courage du peuple bolivien
Le peuple bolivien, héritier d’une longue tradition de luttes insurrectionnelles qui remonte à l’époque de la résistance contre les conquistadors espagnols, vient de renverser Gonzalo Sánchez de Lozada, dit « Goni », le président bolivien, chantre du néolibéralisme, qui parle espagnol avec l’accent nord-américain.
La patrie de Tupac Amaru et Tapac Catari, est témoin
– cinquante ans après la révolution de 1952, qui imposa la nationalisation des
mines et une réforme agraire – d’une victoire d’une grande envergure pour
l’avenir de la Bolivie, capable d’influencer le cours des évènements, non
seulement dans ce pays, mais aussi en Amérique du sud.
Le départ de Sánchez de Lozada, intervient après l’éviction de plusieurs
présidents sud-américains, qui s’étaient inclinés devant le diktat du Fmi et qui
ont été balayés par de puissantes mobilisations populaires. À un peu plus d’un
an de l’entrée en vigueur du Zlea (Zone de libre échange des Amériques) – décidé
par les gouvernements et sans référendum populaire –, les Indiens, paysans,
mineurs et étudiants boliviens, ont estimé qu’ils ne pouvaient pas accepter
qu’un gouvernement néolibéral aliène l’une des richesses du pays.
Trêve de 90 jours
La Bolivie possède en effet, les réserves gazières les plus
importantes du continent, après le Mexique. Or, grâce à la privatisation, les
compagnies nord-américaines, anglaises et espagnoles, auraient le droit
d’exporter 7 trillons de pieds cubiques de gaz, au prix de 0,70 dollars le pied
cubique, au lieu de 1,30 dollars, prix international du gaz dans la région. En
plus de ce prix au rabais, l’État bolivien, en vertu de la loi imposée par
Sánchez de Lozada en 1996, ne percevrait que 18 %…
La Bolivie – dont le dernier rapport du PNUD de l’ONU, indique que le 75 % de sa
population se trouve en conditions d’extrême pauvreté – aurait ainsi perdu à
jamais, la possibilité de disposer de ressources destinées à la santé,
l’éducation, les travaux publics et le développement général du pays. Si
l’exportation du gaz était dans les mains de l’État bolivien, en vingt ans, les
bénéfices seraient de l’ordre de 4 550 milliards de dollars, et non pas de 882
millions.
Le Courage du peuple titre d’un film du célèbre metteur en scène bolivien, Jorge
Sanjinés est aujourd’hui représenté par la Cob (Cen-trale ouvrière bolivienne)
de Jaime Solares, le Mas (Mouvement vers le socialisme) d’Evo Morales et la
Confédération unitaire des paysans boliviens de Felipe Quispe. Il a été capable
d’arrêter un processus avancé de dénationalisation du pays entamé par les
multinationales en connivence avec l’oligarchie native. Les organisations
populaires ont accordé une trêve de 90 jours au président Carlos Mesa, lui
demandant la convocation d’une Assemblée constituante, qui devrait décider de
l’avenir du pays. Le courage du peuple bolivien a remporté une grande victoire,
mais la lutte ne fait que commencer. Dans les luxueux quartiers de La Paz, à
l’intérieur des épais murs de l’ambassade des États-Unis, à Miami et à
Washington, on aiguise déjà les couteaux.
Paco Peña