LA TERRE N'APPARTIENT QU'AUX HOMMES |
Le Manifeste - N° 1 - Novembre 2003
L’aéronautique laminée
Péchiney : une prise de contrôle dangereuse pour les travailleurs
C’est à grand renfort de publicité que le canadien ALCAN se rend maître de Pechiney, l’un des premiers groupes industriels français, privatisé en 1995. Une prise de contrôle pleine de dangers pour les travailleurs, pas seulement en France et pas seulement dans les usines… Rencontre avec Claude Verdier, délégué syndical C.G.T.
Vous êtes délégué syndical C.G.T. à l’échelle du groupe.
Quels sont les effectifs du groupe et la place qu’occupe la C.G.T.
CV : Le groupe Péchiney en France c’est 37 000 salariés et la C.G.T.
représente 45 % des ouvriers, dispose de 12 sièges sur 25 au Comité de Groupe.
Les unités de recherche représentent environ 1 000 personnes et bien entendu, la
holding Péchiney et l’essentiel de ses filiales ont leur siège à Paris. La
holding a récemment emménagé près de la porte Dauphine
Que représentent les intérimaires et autres salariés en situation précaire ?
CV : Alors qu’ils ne représentaient que 4 % des effectifs en 1996 à
l’échelle du groupe, ils sont aujourd’hui environ 12 % après avoir atteint les
20 % en 2000. Mais, à quelques exceptions près, cette baisse ne correspond
malheureusement pas à des intégrations. Ces collègues précaires occupent des
postes peu qualifiés et sont nombreux sur les sites industriels où ils peuvent
représenter une bonne part de l’effectif en toute illégalité. Mais les tribunaux
laissent faire…
Dans son offre publique d’achat, Alcan évoque son intérêt pour la technologie
de cuve de Pechiney. De quoi s’agit-il ?
CV : L’aluminium se fabrique en deux temps. Des procédés chimiques
permettent d’abord d’extraire l’alumine de la bauxite. Ensuite, cette alumine
est transformée par élecrolyse en aluminium. Ça se passe dans des fours qu’on
appelle traditionnellement des cuves. Il faut savoir que Pechiney est dans ce
domaine à la pointe de la technologie. 80 % des électrolyses construites en 2001
dans le monde sont sous technologie Pechiney et 100 % des usines neuves en 2002.
Alcan produit déjà sous licence et paye donc des royalties à Pechiney. De plus,
Pechiney ne souhaitait pas commercialiser la dernière génération pour conserver
ainsi son avance
Qui est exactement Alcan ?
CV : Alcan est un généraliste de l’aluminum très intégré en amont, ce qui
veut dire qu’il produit notamment son énergie électrique. Ce groupe dispose de
nombreux laminoirs, mais il n’a pas de pratique en matière d’aéronautique et ne
s’est positionné que récemment dans l’emballage, après le rachat d’Alusuisse. Or
ces métiers dégagent des marges importantes.
Ses sites sont-ils aujourd’hui menacés ?
CV : Comme nous l’avons expliqué lors de notre conférence de presse, la
Commission européenne a exigé qu’Alcan vende au moins un laminoir en Europe et
cela pourrait être celui de Neuf-Brisach dans le Haut-Rhin qui compte 1 500
salariés. Le problème, c’est qu’on ne voit pas quel industriel pourrait racheter
un tel équipement sur le marché ac-tuel. Il y a un risque qu’un groupe financier
sans expérience dans le métier achète cette usine. Je dis risque car pour
développer et assurer l’avenir d’une telle production, il faut une connaissance
technique approfondie. À défaut on peut être tenté de « presser la pomme » sans
investir. Il y a aussi un risque pour Rugles, dans l’Eure (500 emplois) ; une
usine qui ne marche qu’en cohérence avec celle de Dudelange au Luxembourg et
Flemalle en Belgique.
Et à Issoire ?
CV : C’est un site équipé pour fournir l’Aéronautique. Péchiney en possédait
un autre aux États-Unis pour pénétrer le marché de Boeing. Cette usine de
Ravenswood devra être vendue pour satisfaire les exigences des autorités
américaines de la concurrence. Il n’y a donc pas ici de menace immédiate, mais
des incertitudes sur le développement.
Avez vous eu à cette occasion des contacts avec les syndicats américains ?
CV : Oui. Ils ont mené des luttes dures et fait céder le patron après un
lock-out de plus de deux ans. Nos vues convergent donc sur bien des points. Mais
il devront lutter pour conserver cette usine qui perd de l’argent depuis des
années et perdra aussi le statut d’atout stratégique qu’elle représentait pour
Pechiney.
Et comment se faire entendre à Bruxelles ?
CV : Les commissaires prennent leurs décisions sans ouvrir les dossiers. On
se gargarise de l’Europe sociale, mais on n’est pas fichu de prendre en compte
les intérêts des salariés.
Nous ne les lâcherons pas. Ils doivent connaître les conséquences de leur choix.
Nous nous y employons !
Propos recueillis par Olivier Rubens