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Le Manifeste - N° 0 - Septembre 2003
Constitution européenne
Super-État contre les peuples
Le projet de Constitution européenne avance à grand pas.
Pourra-t-on se passer de l'opinion du peuple français ?
Le projet de « constitution européenne » a été élaboré pendant les quinze mois
de travaux de la « Convention » créée à cet effet, le texte a été transmis aux
chefs d'État et de gouvernement. C'est donc désormais à la « conférence
intergouvernementale » (« CIG ») qu'il appartient de plancher. Cette dernière
devrait s'ouvrir le 4 octobre, et rendre sa copie à la fin de l'année, voire au
printemps prochain. Commencera alors la troisième et dernière phase, la plus
décisive : celle de la ratification du projet par chaque État-membre de l'UE.
C'est à ce moment que chacun des peuples pourra - enfin - faire irruption dans
la redoutable mécanique enclenchée par Le consensus des élites européennes.
Qu'un seul pays refuse cette ratification, et tout le bel édifice est par terre.
C'est dire à quel point il importe d'analyser les enjeux et les menaces du
projet élaboré sous l'égide de Valéry Giscard d'Estaing (nommé président de la
Convention lors du sommet européen de Laeken en décembre 2001, sur proposition
conjointe de Jacques Chirac et de Lionel Jospin).
Pour
un referendum
L'existence même d'une « constitution » européenne équivaudrait, de fait comme
de droit, à la disparition de chacun des pays en tant que nation libre de ses
choix politiques. Au mieux, les constitutions nationales ne subsisteraient que
comme règlements intérieurs régionaux. D'ailleurs, en France, même les
fédéralistes les plus acharnés se sont longtemps gardé d'employer le terme de
constitution européenne, sachant le tollé qu'il ne manquerait pas de susciter.
Ce n'est que récemment, notamment avec le discours du ministre des affaires
étrangères de la RFA en juin 2000, que le tabou a été levé. Le modèle allemand
constitue au demeurant une référence implicite mais omniprésente dans le projet.
Si celui-ci devait entrer en vigueur, l'Union européenne se verrait reconnaître
les attributs d'un super-État : un président, un ministre des Affaires
étrangères, une personnalité juridique internationale. L'architecture
institutionnelle conforterait la Commission de Bruxelles en tant que véritable
gouvernement (ayant l'initiative exclusive des directives, significativement
rebaptisées lois européennes) avec un président adoubé par la majorité simple du
parlement européen. La règle de la prise de décision à la majorité, et non à
l'unanimité, s'étendrait quasiment à tous les domaines (sauf, provisoirement, à
la diplomatie ou à la politique fiscale), permettant que des mesures
s'appliquent à tous les États, même ceux qui s'y seraient opposés. En outre,
avec l'inclusion de la « Charte des droits » dans le projet constitutionnel, les
droits sociaux français, par exemple, se retrouveraient juridiquement dans le
giron de la Cour de justice de Luxembourg.
Il y a enfin ce que les juristes appellent « la compétence de la compétence ».
Il s'agit tout simplement de savoir qui tranche, en dernier ressort, en cas de
conflit de pouvoir entre l'échelon central (européen) et l'échelon national.
Dans le projet de texte, la réponse est claire : c'est encore la Cour de justice
européenne qui aurait le dernier mot. Cette dernière disposition verrouille tout
l'édifice.
Aucun des peuples concernés n'a quoi que ce soit à gagner dans ce qui
constituerait un véritable « saut qualitatif » de l'intégration européenne. Dans
certains pays (nordiques, notamment), les citoyens sont assurés d'être appelés
aux urnes pour ratifier, ou non, le projet de « traité constitutionnel ». Dans
d'autres, les gouvernants veulent éviter à tout prix une telle consultation
(comme au Royaume-Uni, on comprend pourquoi !). Autant dire que l'exigence, en
France, d'un référendum, est particulièrement cruciale.
Pierre Lévy