LA TERRE N'APPARTIENT QU'AUX HOMMES

Le Manifeste - N° 0 - Septembre 2003

 

Privatiser pour mieux voler ?

Le 21 Août, c'est le dépôt de bilan d'Air Littoral, basée à Montpellier. Frèche, le maire socialiste de cette ville en appelle à l'aide de l'État ! Comme si la liberté de baisser les salaires puis de licencier n'était pas le premier objectif de ceux qui privatisent.
Le second, ce sont les négociations quasi-publiques entre Air France et K.L.M. son homologue néerlandaise. Il s'agirait de rendre discrètement minoritaire la participation de l'État français en échangeant des actions « Air France » contre des actions K.L.M….

Dans un contexte de convalescence boursière, la privatisation d'Air France s'inscrit évidemment dans la logique de Maastricht. En effet, l'Europe du transport aérien est le lieu de toutes les concurrences. Moins de cinq compagnies à vocation universelle devraient y subsister à terme. Avec une parfaite hypocrisie, les organes européens dénient toute manœuvre contre le service public.

Bruxelles organise la jungle

C'est pourtant en prétextant le contexte européen que le Parlement français a, en avril dernier, adopté une loi de privatisation. Et son rapporteur d'expliquer que : « si elle demeurait publique, Air France serait marginalisée (…) les autres États membres de l'Union européenne n'ont pas fait le choix de privatiser leurs compagnies aériennes pour voir celles-ci rachetées ou dominées par une compagnie d'État étrangère ». En clair, Bruxelles organise la jungle et les États rognent leurs griffes avant de s'y aventurer. C'est ce qu'on appelle la « gouvernance ».
En engrangeant des bénéfices en 2001 et 2002, Air France fait pourtant mieux que survivre. La compagnie s'accroche à la 3e place européenne. Certes, sa gestion n'est pas à la hauteur des souhaits de ses personnels...
En outre, le reste du monde ne fonctionne pas comme l'Europe des quinze. Des accords d'État à État restent nécessaires pour les atterrissages. Il en résulte des bizarreries dans la privatisation. La loi de Robien pourra obliger les actionnaires étrangers à vendre leurs parts. Le capital d'Air France privatisé devra en effet rester majoritairement entre des mains hexagonales !

Gayssot et Strauss-Kahn à l'origine

Depuis 2000, la compagnie n'est que le point de chute français d'une des 4 grandes alliances qui se partagent 60 % du trafic mondial. On peut s'interroger sur le bien-fondé de ce choix. La preuve est faite, en tout cas, qu'il n'est pas incompatible avec le statut public. C'est ce que le propre P.D.G. d'Air France soulignait dans un livre paru… en avril 2002…juste avant de faire volte-face et de prendre position pour la privatisation.
Souvent, le statut privé coûte cher au contribuable. C'est le cas aux États-Unis où le gouvernement a versé 15 milliards de dollars aux mastodontes de l'air depuis fin 2001. C'est aussi le cas chez nous où les gouvernements ont soutenu en pure perte la mal nommée « Air Liberté ». Le dénommé Corbet, P.D.G. de cette compagnie tenait, lui, sa fortune personnelle à l'écart de l'affaire. Un bel exemple de « nouvelle mixité à prédominance sociale » sous la houlette d'un ministre PCF.
Les employés de cette défunte entreprise, eux, sont restés sur le carreau (pardon, sur le tarmac!).
Avant eux, ce fut le cas de leurs collègues belges de la défunte Sabena, en faillite depuis 2001. 800 pilotes mis au chômage sur les 1200 professionnels expérimentés que comptait ce pays. Avec, pour les jeunes, une indemnité mensuelle permettant juste de rembourser leur formation (extrêmement coûteuse et privée, elle aussi, chez nos voisins)! Le contexte « concurrentiel » est celui d'un recul social sans précédent pour les personnels. La privatisation aussi. Gayssot et Strauss-Kahn avaient initié le processus, en 1999… 78% des pilotes d'Air France avaient alors accepté d'échanger une baisse de leurs salaires contre des actions. La loi votée en avril programme, elle, la liquidation du statut des salariés de la compagnie dans les deux ans qui suivront la privatisation.
Certes, sur certains itinéraires à certaines dates, les usagers se voient offrir d'alléchantes promotions. On souhaite que les économies ne portent pas aussi sur la sécurité! Brader la compagnie nationale, c'est enfin se priver de tout moyen d'action sur son « hub », en l'occurrence Roissy : « une plate-forme contrainte, qui risque d'atteindre très rapidement son niveau de saturation environnementale » comme l'écrit joliment le député U.M.P. Favennec. Sûr que des centaines de milliers de riverains apprécieraient l'euphémisme !

Olivier Rubens