DEBOUT LES DAMNES DE LA TERRE |
Le Manifeste - N° 0 - Septembre 2003
Lettre de Corse
Des millions de touristes français et étrangers vont chaque été en Corse constater que l'insécurité quotidienne est bien moindre que dans les grandes agglomérations françaises. On y parle peu des réalités essentielles de l'île : le sous-développement économique (une seule entreprise qui dépasse 100 salariés !) et ses conséquences : chômage, émigration forcée et clientélisme politique. Les Corses sont massivement attachés à la France, tous les sondages le disent, et en même temps à leur identité, très forte comme dans toutes les grandes îles de Méditerranée. Et en Corse, les salariés se battent pour mieux vivre : le mouvement social pour la défense des retraites et du service public, y a été très fort en mai-juin 2003, Messieurs Raffarin et Sarkozy, chahutés à Bastia, l'ont appris à leurs dépens. Quand Chirac et ses seconds ont voulu y faire approuver par référendum la régionalisation prévue dans l'Europe capitaliste fédérale (avant de l'imposer au reste de la France), les salariés en lutte ont fait gagner le « non » et ont infligé aux politiciens de droite et de gauche (UMP, PS, Verts, Nationalistes) qui disaient oui, un cinglant désaveu. Mais, cela fait, l'île reste aux prises avec ses problèmes.
La tête de Maure et l'œillet rouge
Après la gifle du référendum, Sarkozy se répand en déclarations
sécuritaires, pour faire oublier son alliance ratée avec les minorités
nationalistes de l'île. Va-t-on reprendre les vieilles recettes qui ont fait la
preuve de leur nocivité du temps des Debré et Pasqua ? La répression au hasard
et parfois sans preuve a pour seul résultat de susciter la solidarité pour les
emprisonnés nationalistes, et la négociation en sous-main avec d'autres
justifient les attentats. Contrairement à ce que clame le ministre chiraquien de
l'Intérieur, les Nationalistes corses ne se divisent pas en gentils modérés et
méchants « mafieux » qu'il suffirait d'embastiller : on ne résout pas un
problème politique et social par des mesures de police. Les élus de la droite
insulaire, qui utilisent et contrôlent le désastreux état social et politique de
l'île, le savent bien : les jeunes émeutiers nationalistes d'Ajaccio le soir du
19 juillet, ne sont pas plus « mafieux » que Berlusconi ou quelques autres chefs
d'état ; ce sont souvent des « chômeurs diplômés » comme l'île en compte
beaucoup, désespérés, et malheureusement convaincus par le passé que la violence
spectaculaire permet d'obtenir plus de l'état que le débat démocratique. Ces
jeunes, aucune force politique n'a été pour l'instant en mesure de les
convaincre : ni les politiciens de droite, et de gauche, englués dans le «
clanisme » et l'affairisme ; ni les communistes réduits à un PCF en crise autant
que sur le continent, et délaissé par beaucoup de militants écœurés par les
dérives réformistes ; trop souvent le PCF en Corse se limite à répercuter les
analyses de dirigeants parisiens qui ne connaissent et ne comprennent pas
grand-chose à la réalité de l'île. Dans une organisation communiste conséquente,
les conférences de presse des élus ne doivent pas remplacer l'expression
régulière du Parti et de ses militants.
Le PCF de Haute-Corse a dénoncé une nouvelle fois avec courage « le terrorisme
qui enfonce la Corse dans une impasse » (Corse Matin du 27/O7/03). Les insultes
que cela lui a valu de la part du journal nationaliste U Ribombu (il a assimilé
les communistes à Doriot) montrent bien que l'argument a touché juste : ceux qui
manipulent les clandestins et les explosifs sont d'abord des politiciens
d'extrême droite et doivent être combattus comme tels.
Les communistes corses ont un grand rôle à jouer : indiquer le chemin de la
lutte contre le clientélisme et la spéculation, contre la xénophobie, la
violence et l'exploitation, pour le service public et le développement
économique, pour le respect de la culture et de l'identité corse dans la nation
française ; ils sont les seuls comme il y a 60 ans à la tête de la résistance
antifasciste à pouvoir montrer qu'une autre société que celle viciée par le
capitalisme est possible en Corse et ailleurs. Il faut, selon la formule de Jean
Nicoli, mort en 1943 pour son idéal communiste, porter haut « la tête de More et
l'œillet rouge ».
U Sumeru Rossu (Ajaccio le 15 août 2003)