DEBOUT LES DAMNES DE LA TERRE |
Le Manifeste - N° 0 - Septembre 2003
La Retraite au régime
Parce qu'ils préféraient leurs profits à leur patrie, nombreux furent les
patrons qui se livrèrent aux délices de la collaboration avec l'occupant nazi.
Plutôt Hitler que le Front Populaire.
Hélas ! cinq ans plus tard l'Allemagne nazie vaincue, les patrons de France ont
perdu la guerre. Maintenant les communistes étaient partout, jusque dans les
ministères où ils donnaient des ordres, inventaient des institutions qui
mèneraient à la ruine du pays ou, plutôt, des patrons.
Tétanisés par tant d'infortunes, les patrons assistèrent sans réagir aux
premières mesures de la Libération, comme les nationalisations ou cette Sécurité
Sociale qui étaient pour eux, pire que la bête de l'Apocalypse, signe de la fin
de leur monde. Les patrons sont plus rancuniers que la Mule du Pape. Quand on
leur a fait peur, ils ne pardonnent pas, aussi longtemps que ne viendra pas le
temps de la vengeance. Or, il n'y aura de vengeance valable que dans
l'anéantissement de tous les « progrès sociaux » du Front Populaire et de la
Libération, que ce soit comme si ça n'avait jamais existé. Le négationnisme, en
somme.
Les patrons attendirent. Faute de pouvoir la faire sauter toute entière, ils ne
laissèrent jamais passer l'occasion de grignoter comme des rats des petits
morceaux de cette Sécu à laquelle les travailleurs restent très attachés en
dépit de ses incohérences bureaucratiques, parce qu'elle les libère de la
terreur de la maladie qui jette dans la misère plus sûrement encore que dans la
mort. Guérir un travailleur de l'angoisse du lendemain, c'est lui donner un peu
plus de liberté et les patrons préfèrent les travailleurs enchaînés à la
précarité. En plus, la Sécu ça fait beaucoup d'argent qui échappe à la gestion
patronale et c'est inacceptable. Enfin, la Sécu qui, jusqu'au cœur du
capitalisme, a le culot d'afficher un programme hérétique : « de chacun selon
ses moyens, à chacun selon ses besoins », c'est le terrible spectre du
socialisme qui venait hanter leurs nuits.
La société se laissait doucement paralyser par sa sclérose en plaques, quand
intervint Monsieur Catastrophe qui se fit élire Grand Chef en multipliant des
promesses qu'il savait ne pas devoir tenir. Et puis, un jour, il lui prit le
caprice de dissoudre l'Assemblée où il avait une majorité en béton. Le peuple
ébahi n'y comprit rien. Il crut que c'était pour rire alors, puisqu'on rigolait,
il envoya l'opposition au pouvoir. Celle-ci, qui se prétendait de gauche, prise
au dépourvu, ne sut rien faire d'autre que de poursuivre la politique de la
droite qu'elle venait de renverser par inadvertance.
La politique avait tout à coup versé dans une comédie bouffe. Ce gouvernement de
« gauche », loin de combattre le capitalisme cherchait à le séduire. Il ne se
contentait pas de gérer loyalement le capitalisme, il en devenait un zélé
serviteur. Le capitalisme qui a ses domestiques attitrés ne se laissa pas
séduire par leurs doublures. Quand vint le moment de se choisir un nouveau Grand
Chef, ce fut l'apothéose de la confusion. Le sous-chef qui briguait la
succession, fidèle à sa tactique de séduction, proclama que son programme
n'était pas socialiste. Ceux qui se flattaient de savoir pour qui voter, se
firent plus rares que ceux qui savaient pour qui ils ne voteraient assurément
pas. Alors ils ne votèrent pas ou ils votèrent « contre », en mettant dans
l'urne le bulletin d'un candidat dont ils savaient qu'il n'avait aucune chance
d'être élu, ce qui est une manière bien de chez nous de dire merde à celui par
qui nous nous sentons trahis.
Ce furent quinze jours de stupeur et de folie où l'on vit d'interminables
cortèges de jeunes gens et, parfois, de moins jeunes, voire de carrément vieux
évoquant leur jeunesse antifasciste, qui parcouraient les rues de nos villes au
cri de « L'escroc plutôt que le facho ! ».
Ce fut l'escroc qui fut choisi avec une majorité jamais vue parce que, plus de
la moitié de ses électeurs avaient moins voté pour lui que contre l'autre. La
France venait de connaître sa première OPA inamicale sur le suffrage universel.
Voilà que, plus de cinquante ans après l'outrage de la Libération, le temps de
la vengeance avait sonné. Mais il fallait faire vite. Cette majorité colossale
reposait sur les pieds d'argile du malentendu et l'on pouvait toujours craindre
qu'une fois de plus le Grand Chef Catastrophe fit le jacques et gâchât une
situation en or qu'on ne retrouverait pas de sitôt.
Tous nos ministres du jour peuvent se donner des titres, jouer les chefs, ils ne
sont que les régisseurs du domaine, des salariés, des subalternes. Ils ne sont
pas les patrons ; les patrons, ce sont les patrons. Aussi quand le Président des
patrons sonna la fin de la récréation en tapant sur la table et en grondant : «
Que diable ! vous avez montré assez d'énergie à défendre la paix en Irak, au
risque de causer des désagréments économiques ou commerciaux ! Il faut
maintenant en montrer autant pour réformer les retraites ». Ils rectifièrent la
position et se mirent au boulot.
Ça n'était pas un boulot commode. Comment faire prendre des vessies pour des
lanternes à un peuple entier ? Comme il se devait, Fillon sortit en tête de la
tranchée, pistolet au poing. Sa première salve eut de quoi étonner. Du haut de
la tribune de l'Assemblée nationale, un ministre de la Ve République gaullienne
tenait un discours pétainiste, accusant le Front Populaire, avec ses quarante
heures et ses congés payés, d'avoir conduit la France à la défaite de 1940. Pour
lui non plus la Libération n'a pas eu lieu. Après ce préambule aux relents
putrides, Fillon, un peu étourdi par tant d'infamie, se laissa aller à dire
presque la vérité : qu'il y aura concertation mais pas négociation parce qu'il
n'y a rien à négocier. Si l'on veut sauver la retraite par répartition, il n'y a
pas d'autre solution que celle du gouvernement : payer plus longtemps et toucher
moins parce qu'il y a moins d'actifs du fait que les retraités vivent trop
vieux. Circulez, il n'y a rien à voir !
Lui, en effet, et les siens ne virent rien, n'entendirent rien, comme si
n'existaient pas ces centaines de milliers de manifestants dans les rues de
France. Et la majorité à l'Assemblée, muette, au garde-à-vous, vota la loi sans
en changer une virgule.
Comme si l'augmentation de l'espérance de vie était une catastrophe nationale,
comme s'il n'y avait pas trois millions de chômeurs déclarés qui ne cotisent
pas, et des millions de bas salaires qui cotisent peu, et des millions d'emplois
à temps partiel qui cotisent partiellement, et des millions d'emplois précaires
qui ne cotisent que de temps en temps. Faire croire qu'il y a pénurie de main
d'œuvre en France est un mensonge absurde. Si cette pénurie existait, y
aurait-il tant de chômage ?
La vérité, le MEDEF l'avait déjà dite alors qu'il s'appelait encore CNPF, c'est
sa volonté de diminuer le coût du travail.
L'allongement de la durée de cotisation ne cherche pas tellement à réduire la
durée de la retraite. Son but inavouable c'est de rendre plus difficile la
validation de tous les droits. Les années manquantes vont sévèrement grever le
niveau de la retraite et les futurs retraités, ceux du moins qui en auront les
moyens, chercheront à se constituer un complément par capitalisation d'autant
qu'ils peuvent toujours craindre d'être balancés avant l'âge.
La répartition ne capitalise pas. La cotisation dès qu'elle est versée est
dépensée pour payer les retraites. Or le capital est devenu boulimique de
capital, il lui faut en avaler toujours plus, au risque de l'obésité. La
retraite par capitalisation qui accumule le capital va révéler, comme en
Amérique, de nouveaux magots à piller, de nouvelles cavernes d'Ali Baba où
puiser les capacités de spéculation financière qui manquent pour consolider le
taux de profit que la production ne suffit plus à assurer. Nos patrons
prédateurs s'apprêtent déjà à s'envoyer une tranche de fond de pension froid
avec un grand verre d'eau glacée du calcul égoïste !
Bernard-G. Landry
Repaires
Ces informations sont extraites
de l'ouvrage Les Retraites, des luttes immédiates à une réforme alternative,
coordonné par Catherine Mills et Paul Boccara et publié en septembre 2003 au
Temps des cerises, éditeurs.
Taux d'activité
En France le taux d'activité passe de 86,2 % pour les 25-34 ans, à 75 % pour les
50-54 ans et à 48 % pour les 55-59 ans (dispositifs de cessation anticipée
d'activité et de pré-retraite) en 2000. La même année, les licenciements
économiques touchent 30 % des salariés de 50 ans et plus alors qu'ils ne
représentent que 18 % du salariat.
Les retraités
En France, les plus de 60 ans seront 18 millions en 2020 et près de 22 millions
en 2040. Leur part relative dans la population totale passerait de 24 %
aujourd'hui à 36 % en 2040. Le rapport des 60 ans et plus sur les personnes de
20 à 60 ans passerait de 0,38 en 2000 à 0,73 en 2040. Et, sur cette base, le
rapport retraités/ cotisants passerait de 0,4 en 2000 à 0,8 en 2040 soit une
multiplication par deux.
La part des retraites dans le PIB
Les travaux du Conseil d'orientation des Retraites montrent qu'avec la
multiplication par deux du ratio retraités/cotisants, la part des dépenses de
retraites dans le PIB devrait passer de 12,6 % en 2000 à 18,6 % en 2040, soit un
accroissement de 50 % représentant six points de PIB.
Dégradation des retraites
La réforme Balladur a entraîné une dégradation du pouvoir d'achat des retraités
d'au moins 12 % depuis 1993 et sa montée en charge définitive apporterait une
dégradation entre 20% et 30% d'ici 2040.
Avec la loi Fillon
La durée de cotisation constitue la variable centrale du projet Fillon. Elle
serait portée, au prétexte de l'équité, à 40 ans pour le secteur public en 2008
comme pour le privé, puis à 41 ans pour tous en 2012 et 42 ans en 2020 (soit 168
trimestres de cotisation). Donc, tout le monde en pâtirait, alors qu'il aurait
fallu revenir à 37 ans et demi pour tous et garantir l'âge de la retraite à 60
ans.